Xyrus crache des flammes

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- Xyrus.

La voix résonne une fois encore dans mon coeur, lointaine et suppliante. Voilà plusieurs mois que je l'ai laissée à côté de cette ville du royaume de Mayr et jusqu'à présent j'avais réussi à ne pas penser à elle. Mais depuis dix minutes elle s'est imposée dans mes pensées. Allya est omniprésente dans cette immense cave où je purge ma peine. Mère m'a assigné au nettoyage des ancêtres. Je dois nettoyer leurs squelettes ainsi que tous les trésors qu'ils protègent : or, argent, joyaux... Quel job princier ! Pour terminer de me punir, mère m'a interdit de quitter le volcan.

- Xyrus.

Aussi douce que dans mes souvenirs, comme une légère brise de printemps, rien à avoir avec l'air poussiéreux de ce caveau. J'aimais bien mon arrière grand père, avant, lorsque l'on m'en racontait les histoires. Récurer ses vertèbres le rend nettement moins sympathique.

- Xyrus.

- Tais-toi !

Ma voix se répercute contre les parois de pierre qui retournent un écho aussi rageur que le cri initial. Mais Allya refuse de disparaître, elle reste dans ma tête et menace d'en sortir pour devenir une hallucination visuelle. Je vois une ombre se déplacer entre les os et les coffres débordant de richesses et un rire s'élève dans mon imagination. Je deviens fou.

- Xyrus.

Que veut-elle bon sang ?

- Xyrus.

- Qu'est-ce que tu veux !?

- Aide-moi.

Son appel est vain, je ne peux pas partir d'ici. La colère de mère serait réellement gigantesque. Elle a eu tellement peur en ne me voyant pas revenir avec Yelenda, mon frère aîné, qu'elle a manqué de lui arracher la tête. Il n'a échappé à la mort que par la grâce de notre père qui parvint à calmer notre folle furieuse dragonne de mère avec des méthodes dont il a seul le secret. Yelenda l'évite depuis et obéit à ses moindres demandes. Quant à moi je suis cloîtré ici depuis mon retour. Mon corps s'est totalement remis de ma rencontre avec le mur de la ferme d'Allya mais j'ai passé le plus clair de mon temps sous forme humaine. De toute manière je suis interdit de vol.

- Xyrus.

Sa voix s'éteint, elle est de plus en plus faible. Mon coeur en revanche ne fait qu'accélérer, l'adrénaline se répand dans mes veines à chaque battement. Je lève les yeux vers le sommet de la grotte d'où perce la lumière, je me sens étourdi, les murs se mettent à tourner.

- Xyrus.

Je déploie mes ailes et décolle sans plus attendre. Je ne prête attention à rien et quitte le volcan en quelques instants. Je monte au dessus de la couche nuageuse puis prend un instant pour réfléchir. Je suis libre, enfin, ce plaisir de l'air le long de mes écailles est une sensation sans égale. Je savoure ce moment puis me met en route. Mon instinct sait où aller, ou devrais-je dire Allya a inscrit dans mon âme ma destination. Je peux sentir sa présence, je file aussi vite que le vent en profitant des meilleurs courants du ciel. J'arrive au-dessus de la zone et plonge à contrecoeur dans la tempête qui fait rage. Les orages ne sont agréables pour le vol que lorsqu'ils ne crachent pas de grêlons de la taille d'un oeuf de poule.

Je me pose devant la grotte, reprends forme humaine et pénètre rapidement à l'intérieur. Un grand feu se trouve juste dans l'entrée mais je le traverse sans peine et m'approche d'Allya que je vois blottie à côté. Elle fait peur à voir, toute transpirante, les lèvres bleues et tremblantes. Elle lève son visage ruisselant de larmes vers moi et recommence à pleurer avant de plonger la tête dans une fourrure. Peau de bête que j'ai peur de reconnaître.

- Ne me dis pas que c'est l'ours ?

Je m'accroupis près d'elle alors qu'elle ne cesse de me répéter qu'elle n'y arrive pas, que tout est trop froid et qu'il va mourir. J'écarte ce qui fut l'ours et découvre un petit truc bleu visqueux monstrueux. Allya le serre contre elle et le berce tout en murmurant qu'elle n'arrive pas à le réchauffer. J'en conviens, il ne devrait pas être bleu. Je veux lui prendre le monstre des bras mais elle refuse, j'insiste et elle cède, elle n'a plus la force de lutter de toute manière avant de s'effondrer contre le sol.

Je tiens ce petit homme face à moi, une main sous chacun de ses bras et l'observe. Il est recroquevillé sur lui-même et bouge à peine.

- Tu n'as pas perdu de temps, je te quitte et aussitôt après tu te trouves un mâle ?

Allya ne me répond pas mais me jette un regard de reproche, ce serait plutôt à moi de râler non ? Elle s'insinue dans mon esprit pour que je l'aide à s'occuper de son rejeton.

- Je vais te rendre ce truc, au lieu de moi tu aurais mieux fait d'appeler son p-

Je ne peux finir ma phrase, le truc éternue et me crache un petit jet de flammes au visage. Le message est on ne peut plus clair.

- Je... n'arrive pas à le réchauffer.

Bien évidemment, ce n'est pas une dragonne, c'est déjà un miracle que nos gènes aient réussi à se mélanger en une chose viable. Chose... quelle étrange manière de parler de son fils. Je le dépose dans les bras d'Allya qui le serre tout contre elle en pleurant. Elle s'imagine certainement que je vais repartir mais il me faut simplement un peu de liberté. Je retire ma veste, mon T-shirt et les dépose à côté d'Allya avant de lui reprendre le monstre bleu des bras. Elle gémit mais me laisse faire et bouge un peu pour m'observer. Je m'assois dos à la paroi et allonge le truc sur mon avant-bras replié. Il en fait à peine la longueur.

- Ouvre grand les yeux petit dragon, je vais te montrer le truc le plus cool du monde.

Je souris en pensant à ce grand plaisir de la vie, presque aussi bon que le vol, prends une grande inspiration puis crache un jet de flammes continu sur le petit dragon. Toute la grotte se réchauffe rapidement et il ne faut que quelques instants au bébé pour reprendre des couleurs. Tous les dragonnets adorent se lover sous les flammes de leurs mères. Il n'existe pas de meilleur endroit au monde. Ce petit est bien un dragon, il bouge un peu pour mieux s'installer et profiter de ce bienfait. Même Allya, un peu plus loin, en profite. Le soulagement se lit sur son visage alors qu'elle se relève pour boire un peu d'eau avant de se recoucher sur l'ours. C'est un peu répugnant mais je suppose qu'elle a une bonne explication.

- Chute de rochers, me dit elle pour répondre à ma question muette.

J'interromps mon jet, le petit monstre s'est réchauffé et cherche maintenant à attraper mon téton. J'attends un peu que nous refroidissions puis le redonne à sa mère. Allya frémit en le prenant dans ses bras, il n'est plus brûlant mais pas loin et, lorsqu'elle le colle contre sa poitrine dénudée, engloutit vivement son sein avant de téter voracement. Ce truc est définitivement un dragon. Nous restons un moment en silence, Allya, concentré sur le petit dragon qui mange et moi qui les observe attentivement. Puis une pensée frappe mon esprit. Je me mets à rire doucement, ce qui provoque un mouvement de tête de la part de ma compagne.

- Ma mère va me tuer.

AllyaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant