Ange regardait le paysage défiler par la fenêtre avec une certaine mélancolie. La verdure déjà brûlée par le soleil déprima profondément la jeune fille.
Elle appuya sa joue sur la vitre et ferma les yeux. Sa tête frappait durement le verre à chaque fois que le taxi rencontrait un des nombreux obstacles présents sur le chemin tortueux. Sa robe moulante la rendait mal a l'aise et elle ne cessait de rabattre le tissu sur ses cuisses nues.
Enfin, la voiture, après avoir emprunté un chemin encore moins bien entretenu que les précédents, arriva devant la gigantesque villa (c'était presque, à ce stade la, un petit manoir) de la famille Cohen. La bâtisse impressionnait non seulement par sa taille mais aussi par son architecture travaillée, digne d'un château de Princesse.
Natanaël avait voyagé à côté du chauffeur, à la place passager. Le garçon se tourna vers Ange et la regarda avec une certaine appréhension.
- Cela va aller? demanda-t-il. Souvenez-vous: tutoiement!
La jeune fille hocha la tête d'un air peu convaincu. Elle sortit prudemment du taxi et s'absorba dans la contemplation du jardin entourant la villa. Les parterres de fleurs, les gigantesques arbres bordant le chemin de galets blancs, les fontaines, les oiseaux gazouillants, tout semblait sortir directement d'un conte de fée.
- Vous ne venez pas, mademoiselle?
Un domestique, vêtu comme un valet, un sourire aimable scotché sur le visage, héla Ange. La jeune fille vit Natanaël disparaître dans la villa. Elle se précipita pour les rejoindre. Sa course fut grandement ralentie par des talons hauts, mais la jeune fille réussir à gravir les marches de pierre banches sans se casser la figure et à rejoindre Natanaël.
L'intérieur de la villa était moins imposant que l'extérieur. La décoration était chaleureuse et moderne, et de grandes baies vitrées éclairaient les vastes pièces, rendant la visite très agréable.
Natanaël guida Ange vers le salon.
Confortablement installée dans un immense et moelleux fauteuil, la mère du garçon buvait du thé. Le service, de grande valeur, était posé sur une petite table de verre.
Natanaël observa sa mère avec tendresse. C'était une femme a l'allure très sympathique. Son visage rond, surmonté d'un chignon gris, inspirait la confiance. Ses yeux étaient fermés, ses traits détendus. Elle avait porté une tasse de thé à ses lèvres et savourait la délicieuse boisson qu'elle contenait.
Le garçon s'arracha a cette émouvante vision.
- Maman? Nous sommes là.
La femme ouvrit doucement ses grands yeux noirs. Elle posa délicatement sa tasse en porcelaine sur la table et tourna son visage vers son fils.
- Mon grand garçon! Comme je suis heureuse de te voir s'écria-t-elle alors qu'un sourire éclatant illuminait son visage. Et qui est cette jolie personne? ajouta-t-elle en découvrant Ange.
- C'est ma petite amie, Ange Delahaie. Ange, je te présente Valentine Choen.
Valentine se leva prudemment et attrapa les mains de la jeune fille.
- Mais tout s'explique! Si vous saviez, Ange, comme je suis ravie de vous rencontrer! Vous êtes si jolie! Je vous en prie, ajouta Valentine, asseyez-vous, mes enfants.
Un peu gênée devant cette effusion d'affection, Ange s'assit prudemment sur un des canapés de cuir entourant la table basse.
- Vous êtes Ange? Quel joli prénom! Aussi éclatant que vos cheveux.
Ange rougit violemment.
- Voyons, maman! Tu l'intimides! se moqua Natanaël.
Il était détendu. Ses traits s'étaient décrispés, son regard apaisé et adouci. Valentine semblait agir comme un calment sur le jeune homme. D'adorables fossettes s'étaient même creusées sur ses joues.
- Mais non! protesta Ange. La seule chose qui m'impressionne, c'est votre apparence, madame.Cohen. Je vous ai d'abord prise pour ma grande sœur.
Ce fut au tour de Valentine de rougir.
- Au lieu de me flatter, dit la vielle femme d'un air faussement offensé, servez vous donc du thé. Il vient directement du Japon. J'espère de tout mon coeur que vous l'appréciez.
Mais Ange n'écoutait déjà plus. Son regard s'était perdu dans le jardin, parmi le parterre de fleurs. Un papillon d'une superbe couleur rouge se détachait sur le fond vert. Il voletait paisiblement. Soudain, ses ailes délicates s'affolèrent. L'insecte perdit brusquement de la hauteur. Une bourrasque de vent le précipita contre la baie vitrée et il s'aplatit sur le verre. Ses ailes de tordirent en un angle peu naturel et la fine membrane qui les recouvrait se déchira.
Le petit bruit que produit son corps en s'écrasant sur la surface dure parut assourdissant a Ange. Il résonna longtemps dans ses oreilles.
«Poc. Poc. Poc.»
- Tu sembles hypnotisée par le jardin, constata Valentine. Tu désires y jeter un œil? Nous avons une superbe serre qui, si tu es intéressée par la botanique ou même simplement par les jolies choses, saura ravir tes yeux.
Ange secoua la tête pour chasser le papillon de ses pensées et acquiesça vivement. Son large sourire était faux mais personne ne sembla le remarquer.
Valentine, Ange et Natanaël se dirigèrent lentement vers le jardin, leurs tasses en porcelaine dans les mains. Ils marchaient doucement, pour se caler au rythme de la vielle femme qui souffrait des jambes.
Ils entrent finalement dans la serre.
Ange ne put s'empêcher de pousser un cri d'admiration. L'enfant qui sommeillait en elle se réveilla soudain. Les yeux de la jeune filles se remplirent d'étoiles. Il faut dire que les lieux étaient réellement magnifiques.
Des arbres majestueux projetaient de grandes ombres sur les allées de pavés blancs. Des oiseaux exotiques volaient de branches en branches en chantant. De superbes fleurs de toutes les couleurs s'épanouissaient aux pieds de fontaines d'eau limpide.
Au centre des chemins se trouvait une petite table de fer blanc, recouverte d'une nappe de dentelle. Elle était protégée du soleil par un arbre imposant aux larges feuilles. Posé sur ce meuble delicat, un vieux journal aux pages jaunies par le temps était ouvert.
Après s'être approchée, Ange remarqua le texte manuscrit. L'écriture était ronde et délicate. Malgré l'encre effacée par le temps, on devinait aisément la boucle élégante des "o", les jolies formes des "a" et des "e". Mais la lettre la plus charmante était sans conteste le "s", dont la boucle tournait de la manière la plus attendrissante qui soit.
- C'est votre journal? s'enquit Ange en se tournant vers Valentine.
La femme sourit poliment.
- Oui. Je l'ai écrit alors que j'étais au lycée.
Ange entortilla ses doigts.
- Je peux le lire? S'enquit-elle d'une petite voix.
Le rouge était monté à ses joues.
- Si cela vous fait tant plaisir, je n'y vois pas d'inconvénients! dit Valentine dans un éclat de rire. Mais je ne suis pas sûre que vous puissiez me relire.
Le regard d'Ange s'illumina et un large sourire, presque comique de par sa taille, apparu sur son visage.
- Merci! hurla-t-elle.
Elle se précipita sur la chaise et dans sa hâte manqua de renverser sa tasse de thé. Reprenant son calme, elle ferma cérémonieusement le recueil pour mieux le réouvrir.
- Laissons la lire, déclara Valentine en invitant son fils a la suivre.
Bras dessus, bras dessous, ils se promenèrent en silence pendant un long moment. Ce fut la vielle femme qui rompit la paix qui s'était installée.
- Cette fille que tu fais passer pour ta petite amie, elle lui ressemble drôlement.
- Je pensais bien que tu ne te laisserai pas berner, soupira Natanaël. Mais a qui Ange ressemble-t-elle?
- A une des rares personnes qui m'a jadis apporté son soutient mais que je ne pourrais jamais remercier.

Le syndrome du parapluie rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant