Natanaël et Valentine s'assirent sur un banc, à côté d'une fontaine.
Le jeune homme regardait sa mère fixement, dans l'attente d'une explication qui ne venait pas. Il patienta un certain temps, ne désirant pas forcer ou presser Valentine. Au bout d'une dizaine de minutes, il se résolut a poser la question qui lui brûlait les lèvres.
- Maman, cela semble délicat mais, dis moi, à qui Ange ressemble-t-elle?
La mère de Natanaël avait le regard fixé sur un point invisible, au loin. Ses yeux s'étaient légèrement embués et sa lèvre extérieure tremblait un peu.
- A ma sœur, répondit-t-elle finalement. Tout ceci est un test, finalement. Si j'avais su...
- Ta sœur? s'étonna Natanaël. Celle qui est morte? Un test? Quel test?
Valentine ne répondit pas. Elle se contenta d'appuyer sa tete qui lui paraissait si lourde sur l'épaule de son fils et de rêver d'une époque révolue.
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Ange tourna avec précaution la première page du journal et se plongea dans sa lecture.

«Journal de Valentine,

Le 4 septembre 1972 , au lycée Vauvenargues
C'est la rentrée aujourd'hui.
Aller au lycée, beaucoup considère cette chance comme une corvée. Pas moi. Enfin, plus moi. Depuis les événements qui secouent mon coeur et le monde, je sais que je suis très chanceuse.
En plus, j'ai des amis, au lycée. Ça aussi c'est une chance. Il y a pleins d'élèves qui n'en ont pas, d'amis. Ils ont même des ennemis. Que des ennemis. Heureusement que ce n'est pas mon cas. Il y a Isabelle et Edith avec moi. Ces deux filles sont des anges. Des déesses. Les amours qui me sauvent de cet horrible endroit. Parce que j'ai beau être chanceuse d'aller au lycee, je suis loin de pouvoir me réjouir d'aller dans mon lycée. Comment le décrire? C'est sûrement, après les endroits où la guerre fait rage, ceux dévastés par la misère et les camps de concentration, le pire endroit de la terre. Les élèves, pour tromper leur ennui, passent leur temps à s'embrasser et à cancaner dans le dos les uns des autres. Les professeurs, dépressifs, semblent aller à l'abattoir. Ils ressemblent à des vaches condamnées à finir en steak haché. Tout ce petit monde est fort déprimant.
Même le fait de retrouver mes deux amies ne me motive plus. Il n'y a que parce que je ne voie pas ma mère et surtout ma soeur de la journée que je sors du lit et me traîne vers cet endroit de malheur.
Je suis actuellement dans la cour de récréation, c'est midi. Assise sur la pelouse, j'écris rageusement ces lignes.
Je ne suis dans la classe d'aucune de mes amies. Mes professeurs sont tous mauvais. Il n'y a que celui de maths qui soit un tantinet intéressant. Les mathématiques, c'est la seule matière que j'apprécie. La seule qui réussisse encore à m'intéresser. Plus tard, je veux être professeur de mathématiques, mais personne ne le sait encore, parce que j'ai un peu honte de le dire devant mes amies. Je ne leur ai pas encore dit non plus que depuis une année déjà, je suis amoureuse de Mathieu. Ce n'est pas le plus beau garçon du lycée, mais c'est certainement le plus drôle et le plus sympa. Il est grand, roux. Ses tâches de rougeur sont adorables. Ses yeux sont verts et sa bouche est toujours étirée dans un sourire charmeur. Il n'est pas timide, c'est même tout le contraire. Il devrait faire partie d'un troupe de théâtre ou de quelque chose dans le style. Le problème, c'est qu'il est en couple avec Isabelle, ma meilleure amie.
Oh, la sonnerie! Je vais en Anglais. A plus.

Le 5 septembre 1972, après les cours, dans ma chambre
Ça fait à peine deux jours que je suis rentrée et j'ai déjà une pile de devoirs haute comme une maison à rendre. Je m'en fiche, je ne les ferai pas, à part ceux de mathématiques. Ma mère m'a hurlé dessus comme une folle aujourd'hui. Elle m'a dit que j'étudierai et que je ferai mes devoirs, que ça me plaise ou non. Je lui ai répondu que non et elle m'a foutu une baffe. Elle m'a dit que tant que je ne travaillerai pas, Sophie ne bougerai pas de la maison. Alors je lui ai dit que je n'en avais rien à carrer. Que de toute façon, Sophie, je la détestais. Qu'elle pouvait bien rater sa vie, je n'en avais rien à faire. Ma soeur, c'est ma pire ennemie. Si mes parents passaient leur temps à me répéter que ce n'est pas sa faute, qu'ils l'aiment autant qu'ils m'aiment, que nous pouvons vivre heureux ensemble, alors tout serait différent. Mais mes parents sont ce qu'ils sont. Ils la haïssent, plus que moi sûrement.Elle est leur fille pourtant. Mais ce qu'il lui font... Ce qu'il lui font.
Mais c'est clairement sa faute! Si elle n'était jamais apparue, je serai fille unique. Je n'aurai pas eu à garder tout ses secrets qui pèsent comme autant de fardeaux sur mes épaules. Elle n'aurait pas été malheureuse, aussi. Si elle n'avait pas été la fille de mes parents, j'aurai pu l'aider. Alors que la, pour leur bien, pour protéger ceux qui m'ont élevé, je dois mentir. Et je ne peux pas la sauver. Mais sachant ce qu'elle est, je ne désire pas l'aider. Son passé est bien trop sombre. Son présent l'est tout autant. Avec tant de nuages sur sa vie, quel sera son futur? Je ne suis même pas sûre qu'elle en est un. Oh, Sophie, que dois-je faire? Je suis perdue.
Je suis autant en prison que toi.
Mathieu m'a parlé, aujourd'hui. C'est réellement le garcon le plus beau, intelligent, sympathique qu'il m'ai été donné de rencontrer. Nous avons les mêmes centres d'intérêt: les mathématiques, la musique, le cinéma. Nous avons pleins de choses à nous dire. Pendant les longues heures durant lesquelles nous avons discuté, je n'ai pas arrêté de vouloir l'embrasser. Mais déjà que ma famille c'est n'importe quoi, alors si en plus je perd mes amies...

Le syndrome du parapluie rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant