14.

148 16 4
                                    

Ange se rendit à l'aéroport Saint Exupery en taxi. Elle acheta un billet d'avion, à destination de Paris. Elle n'avait sur elle que ses vêtements et un grand parapluie rouge.
Elle partait a dix heures du soir, alors elle s'assit sur une chaise inconfortable et elle attendit. Ses yeux fixaient un point invisible, sur le mur. Elle resta des heures dans la même position, sans bouger d'un cil. Aucune pensée n'occupait son esprit vide, aucune émotion ne lui serrait le cœur. Elle ne pensait plus.
Elle n'était humaine que de nom. Ce n'était plus son sang qui faisait battre son coeur mais un monstre nommé vengeance.
Le soleil descendit dans le ciel et Ange finit par embarquer. Elle rentra dans l'avion et resta une heure droite comme un i, assise sur son siège.
Ange arriva a Paris a onze heure. Elle se perdit dans l'aéroport, et tourna en rond pendant longtemps. Elle finit par trouver une sortie, et se découvra égarée dans un endroit qu'elle ne connaissait pas, dans ce Paris qu'elle avait tant voulu oublier.
Une pluie fine tombait du ciel noir, mais l'obscurité avait été chassée par les réverbères toujours plus lumineux et agressifs. Leur lumière blanche et douloureuse se reflétait sur l'eau couvrant les routes.
Ange serra son parapluie contre elle et avança dans la nuit. L'eau glacée lui coulait dans le cou et le dos. Ses cheveux trempés étaient collés à sa peau moite.
Elle marcha pendant une heure sous la pluie Parisienne. Elle était perdue et fiévreuse. Les passants la dévisageait étrangement, elle ne comprenait pas pourquoi. Elle finit par remarquer sa chaussure égarée et les larmes inondant ses joues, mais elle ne s'arrêta pas.
Elle erra pendant longtemps, cheminant sans but, tournant en rond.
Elle savait ce qu'elle voulait faire, mais comment le faire ?
"Comment retrouver Valentine ? "
Elle était incapable d'élaborer un plan ou même de réfléchir.
Ange finit par s'endormir sous un porche, roulée en boule, serrant contre elle son parapluie, comme un enfant son doudou.

Il pleut et il fait froid.
- Ne t'inquiètes pas, Angie, mon Angie, crie la voix. Je reviens !
Ange crois la voix, elle a confiance. Elle sait que maman l'aime, qu'elle reviendra. Le grand parapluie rouge s'éloigne et Ange s'assoit à même le sol, sous un porche. Ses petites fesses sont trempées par l'eau, mais ce n'est pas grave. La petite fille joue avec les gouttes dégoulinant le long du mur. Elle a faim. Au bout de quelques minutes, elle voir le grand parapluie rouge qui revient. Ange se lève.
- Maman !
La petite fille court vers sa mère, mais quand elle lui saute dans les bras, elle a comme une drôle d'impression. Alors elle redresse la tête et cherche le regard de sa mère, mais ses orbites sont vides. La femme sourit et son horrible visage se déforme. Sa peau se déchire, Sa chaire commence à fondre. Pendant que la petite fille hurle de toute ses forces, la femme saisit son parapluie, et lui plante dans le ventre. Ange se sent glisser vers le sol, et pendant qu'elle meure, une voix lui susurre à l'oreille:
- Angie, mon Angie... Angie, mon Angie... Angie, mon Angie...

Ange ne dormit pas bien. De nombreux cauchemars troublèrent son sommeil et Elle se réveilla de nombreuses fois, terrifiée, fiévreuse, trempée et glacée jusqu'aux os.
Elle tomba malade au cour de la nuit. Vers quatre heures du matin, elle se leva brusquement et vomit sa bile, puisque son ventre était totalement vide. À partir de ce moment là, Ange ne chercha plus à s'endormir. Elle s'assit contre le porche, ses yeux rouges fixant le vide. Elle grelottait de froid et de fièvre. Mais même malade, même perdue, elle s'imaginait la meilleure façon de retrouver Valentine.
Vengeance, criaient toutes les cellules de son corps, vengeance.
C'est ce cri venu du fond de son coeur qui la poussa a se secouer. Il était environ cinq heures, le soleil se levait et la ville commençait à s'animer. Ange se leva péniblement. Ses jambes tremblaient sous elle mais elle n'y fit pas attention. Elle avança, un pied devant l'autre, un pas après l'autre, doucement. Elle savait ce qu'elle devait faire. C'était simple. Mais il fallait qu'elle y croie.
De toute façons, elle n'avait plus le choix.
Ange marcha longtemps, se servant de son parapluie comme d'une canne. Elle tomba plusieurs fois, mais elle se releva, et recommença à avancer. Le ciel était gris et l'air froid, mais au moins, il ne pleuvait pas.
Elle finit, après une heure et demi de marche, par trouver ce qu'elle cherchait: une cabine téléphonique. Ange voulait consulter l'annuaire, puis appeler Natanaël. Ce dernier l'amènerait chez lui, et tout serait réglé. Ensuite, elle prétendrait avoir besoin de voir sa mère, sans s'expliquer. Elle insisterait bien sur le fait qu'elle n'avait pas lu le journal mais qu'elle voulait le rendre à Valentine parce que cela lui pourrissait la vie. Ange ne pensa pas un instant aux questions que pourrait lui poser Natanaël, a son désir de lire le journal, ou a tous ses paramètres fort désagréables qui font qu'un bon plan n'en est pas réellement un. L'annuaire posé sur une petite étagère lui semblait être la délivrance la plus absolue, et la résolution de tous ses problemes. Elle chercha fébrilement le nom de Natanaël Brown, mais elle ne le trouva pas. Elle s'énerva sur les pages, et finit par les arracher.
- Merde ! hurla-t-elle. Merde !
Une horrible envie de pleurer s'empara d'Ange, et une immense boule vint bloquer sa gorge. Elle retint ses larmes et se força à réfléchir.
Elle pensa finalement à chercher directement Valentine.
- Cohen... murmura-t-elle en feuilletant l'annuaire. Cohen...
Elle trouva un nom. Valentine Cohen. Et un numéro.
Un petit sourire satisfait étira ses lèvres sèches. Ange déchira la page, la plia en quatre et la glissa dans la poche arrière de son jean.
- C'est si miraculeux, murmura-t-elle. Dieu doit être avec moi, pour que je puisse me venger. Il doit me soutenir et m'aimer.
Elle en avait oublié qu'elle ne croyait pas en Dieu.
La jeune fille sortit de la cabine téléphonique. De la sueur dégoulinait le long de son dos et un froid glacial gelait tous ses membres, mais elle n'en avait que faire. Elle se dirigea en chancelant vers une femme sortant du super marché en face de la cabine, les bras encombrés de cinq énormes sacs de courses. Ange attrapa l'épaule de la femme qui se tourna vers elle en sursautant. La vue d'Ange ne la rassura pas, et ses yeux bleus s'obscurcirent de méfiance. Son visage couvert d'auto-bronzant se ferma et de profondes rides apparurent sur son front et autour de sa bouche.
- Je n'ai rien à vous donner, déclara sèchement la femme.
Ange se rendit compte qu'elle passait pour une sans domicile.
- Je ne vous demande pas de me donner quelque chose, bredouilla la jeune fille. Je voudrai que vous me prêtiez votre téléphone, madame. S'il vous plaît.
La femme recula sensiblement. La suspicion laissait peu à peu place à la peur dans son regard.
- Je suis désolée, dit elle en plaquant ses sacs sur ses jambes, je n'ai pas le temps.
Tant de préjugés stupides mît Ange en colère.
- Les SDF ne sont pas tous des fous dangereux, vous savez, bégaya la jeune fille en tentant de reprendre consistance. Ce sont surtout des gens malheureux. De quoi avez vous peur ? Que je vous vole vos paquets de céréales ? Que je vous tabasse ? Que je vous contamine avec mon rhume ?
La femme se braqua.
- Comme je l'ai dit précédemment, répéta elle d'une voix hautaine, je n'ai pas le temps de vous parler.
Et elle se retourna et s'en alla sans demander son reste, le dos courbé sous le poids des sacs qu'elle avait mît sur ses épaules.
- Tu crois que je vais me jeter sur toi pour te voler ton fromage et tes serviettes hygiéniques ou quoi ? marmonna Ange.
Elle se retint de cracher de mépris et se dirigea vers un vieux monsieur noir fumant une cigarette, adossé au mur de la supérette. La jeune fille voyait flou mais elle essaya de l'ignorer.
- Bonjour, dit elle prudemment, je suis désolée de vous déranger, mais j'aimerai que vous me prêtiez votre téléphone...
Le vieil homme sortit son portable de sa poche et lui tendit sans un mot.
Ange le remercia et s'éloigna un peu pour avoir plus d'intimité. Elle déverrouilla le portable (il n'avait pas de code) et composa le numéro de Valentine. C'était un numéro fixe, mais personne ne décrocha. La jeune fille essaya une seconde fois, sans succès. Ce n'est qu'au bout de la quatrième tentative qu'une voix se fit entendre de l'autre côté de la ligne.
- Allo ? grommela une voix masculine et endormie. Qui-est ce ?
Ange sentit qu'elle allait s'évanouir de fatigue et de peur, mais elle tint bon.
- Bonjour monsieur, je suis Ange Delahaie. J'aimerai parler avec Valentine, s'il vous plaît.
L'homme ne semblait pas connaître leurs liens de parenté et la sombre histoire les reliant.
- Qu'avez vous de dire de si important à ma femme a une heure pareille du matin ? s'énerva Monsieur.Cohen. Il n'est que huit heures. Rappelez plus tard.
Ange ne frémit pas devant le ton agressif de son interlocuteur.
- Je ne rappèlerai pas plus tard, dit elle avec une assurance qu'elle n'éprouvait pas. Veuillez réveiller votre femme.
Le ton monta.
- Et sinon quoi ?
- Sinon, déclara calmement La jeune fille, vous risquez de vous sentir coupable toute votre vie, puisque vous serez responsable de ma mort. Ce n'est pas ce que vous désirez, je me trompe ?
Il y eu un grand silence, que monsieur.Cohen finit par briser.
- Ne raccrochez pas, je vais réveiller ma femme.
Ange ne répondit pas, mais se tourna vers le vieil homme pour lui faire comprendre que son appel ne durerait pas encore très longtemps. Elle ne trouva personne, l'homme était partit, en lui laissant son portable. Tant de générosité la laissait perplexe.
La voix de Valentine finit par la sortir de sa songerie.
- Ange ? C'est toi ?
Elle qui pensait qu'entendre cette voix provoquerait une avalanche de sentiments contradictoires, elle se trompait. Elle n'éprouva rien, juste cette envie de se venger, toujours aussi présente qu'avant.
- Allo ?
Ange serra son parapluie rouge plus fort dans sa main.
- Oui, Valentine, c'est moi, Ange. Je suis perdue dans Paris, je suis malade, et j'ai l'impression que je vais mourir. Vous ne pouvez pas venir me chercher ?
Et sans qu'elle sache pourquoi, elle éclata en sanglots. De grosses larmes se mirent à couler le long de ses joues sales, et elle pleura comme elle n'avait jamais pleuré.
- Venez me chercher, sanglotait Ange, accroupie sur le sol, son parapluie rouge serré contre sa poitrine. Venez me chercher.

Le syndrome du parapluie rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant