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Ange prétendit une soudaine migraine et rentra chez elle immédiatement après l'appel de Natanaël.La pâleur de son visage et le tremblement de sa voix avaient sûrement convaincu la soeur, qui l'a laissa partir sans émettre le moindre commentaire.
La crèche se trouvait a un kilomètre environ du logement d'Ange. Étant dans la périphérie de la ville, les deux lieux n'étaient desservis par aucun transport en commun, et la jeune fille du se rendre a pied chez elle. L'idée de prendre un taxi ne parvint pas jusque dans son esprit embrumé.
Ce trajet qu'elle parcourait d'ordinaire gaiment et avec le sourire fut extrêmement éprouvant. Ange chancelait, ses jambes lui semblaient remplies de plomb, sa vision se réduisait de plus en plus et une sueur glacée coulait le long de son front. Elle cru s'évanouir plusieurs fois et dut s'arrêter régulièrement pour reprendre son souffle.
Elle ne sut pas par quel miracle, mais elle finit par arriver devant son appartement. Elle enfonça difficilement sa clef dans la serrure, poussa la porte et se jeta à plat ventre sur son canapé. Ange resta prostrée pendant une vingtaine de minutes, les yeux dans le vague, ne pensant a rien. Elle finit par se secouer, et a se rendit péniblement dans sa minuscule chambre. Elle s'assit en tailleur devant son armoire et renversa son contenu sur le sol. Des dizaines de vêtements s'entassèrent bientôt sur le parquet gondolé.
Ange fouilla dans l'énorme tas et finit par en tirer le vieux journal, a la couverture usée et l'encre effacée par le temps. Toujours assise a même le sol, elle tourna les pages jusqu'à l'endroit ou elle avait  arrêté sa lecture, quelques semaines plus tôt.
- Tu n'as pas franchement le choix, s'encouragea la jeune fille.Tu dois savoir. Sinon, cela va te poursuivre jusqu'à ce que tu en meures. Courage, Ange. Courage.
Et elle commença a lire.

8 octobre 1972, dans un café

Je suis enfin arrivée a Lyon! Je n'arrive pas a le croire. Je suis actuellement assise dans un bar désagréable, avec Sophie assise a coté de moi. Je ne voulais pas aller ailleurs, de peur de me faire remarquer. J'ai un peu peur. Mais ça va. Sophie boit son sirop de pêche. Elle ne l'a pas choisit elle même, mais elle ne parle pas, alors je ne peux pas savoir.
Si elle se contentait de ne pas parler, ça irai; mais elle ne communique pas du tout. Au moins, elle a repris un peu de poids et ne refuse plus ce que je lui propose. C'est un bon point, déjà, non ?
Mon voyage est bientôt fini, déjà. Quand la nuit sera tombée, je l'emmènerai a coté d'une gendarmerie, et je repartirai. Je laisse les gendarmes s'en occuper, après. C'est leur travail et leur problème. Ils ne pourront pas retrouver ma trace, comment feraient-ils? Pour eux tous, Sophie n'existe pas.
Je me demande qu'elle sera son avenir. Connaissant son passé; je doute qu'il soit brillant. Sachant qu'elle a tué...
Peut importe, de toute façon. Pourquoi devrais-je me sentir concernée? Je suis déjà bien sympa de l'avoir sortie de sa cave, cette espèce d'idiote. C'est vrai que j'aurai pu l'aider AVANT, mais vaux mieux tard que jamais, non?
Devrais-je quand même raconter l'histoire de Sophie?
Ce n'est pas la fille biologique de mes parents, comme je ne le suis pas, d'ailleurs. Nous sommes toutes deux les filles de la sœur de ma mère. Je ne les ai pas beaucoup côtoyés,, cette mère et ce père. Je passais les trois quart de mon temps chez maman et papa, de toute façon. Ma mère et sa sœur étaient très proches, comme c'est souvent le cas chez les jumelles. Toutes les deux étaient presque les deux parties d'un tout. D'après maman, elles étaient très différentes. Elle étaient complémentaires. Maman est une femme douce, docile. Son caractère calme a le pouvoir d'apaiser et de rassurer. Sa jumelle, elle, était tout feu tout flamme. Un véritable concentré d'énergie brute. Malgré leurs caractères diamétralement opposés, elles s'entendaient à merveilles, c'en était presque miraculeux. Elles s'aimaient comme il n'est plus possible d'aimer. Un amour sincère, innocent, dénudé d'intérêt. Comme si tous leur défauts avaient été mis de côté pour qu'elles puissent se concentrer sur l'autre, son bonheur, son rire.
C'est en tout cas ce que maman m'a raconté.
Ma Tante est partie du domicile familial en premier, pour faire des études de commerce. Ce n'est pas exactement les études que rêvaient de faire maman, mais elle était quand même envieuse, puisque elle n'est pas partie du tout.
Ma tante était libre, belle indépendante.
Maman est restée longtemps chez mes grands parents. Elle n'est partie qu'une fois papa rencontré. Elle n'est jamais restée seule. Elle n'a pas fait ce qu'elle voulait faire. Elle n'avait pas de rêves, pas d'objectifs. Juste un mari banal et une vie banale de femme au foyer. Alors, elle vivait la vie de sa soeur par procuration.
Ma tante vivait une existence trépidente. Voyages, aventures, rencontres. Elle racontait toutes ses histoires à ma mère quand elle rentrait en France. Maman était pendue à ses levres, et la regardait fixement, ses yeux grands ouverts remplis d'envie et d'admiration.
«Nous étions si semblables physiquement ! M'a dit un jour ma mère. Je ne comprenais pas comment était-ce possible que nous ayons des existences si diamétralement opposées. »
Ma tante a rencontré un homme anglais au cour d'un de ses voyages. Ils sont tombés amoureux et se sont épousés. Maman était mariée à Papa depuis longtemps, mais ils n'arrivaient pas à avoir d'enfants. Encore une fois, Maman a envié sa soeur. Mais elle ne l'a haïssait pas. Elle était heureuse qu'elle soit heureuse. Elle vivait une vie par procuration.
Ma tante m'a donné naissance, et s'est installée définitivement à Paris, avec son mari. Nous avons vécu ensemble pendant 3 ans, puis elle est tombée enceinte de Sophie.
En réalité, deux jumeaux grandissaient dans son ventre. Ma tante était si heureuse d'avoir des jumeaux. Mais seule Sophie est sortie vivante de son ventre. Sa jumelle, elle, était morte.
Ma Tante avait perdue un enfant. Elle en a été dévastée. Mais quand elle a appris le meurtre de sa propre fille sur sa soeur, elle n'a pu le supporter. Sophie avait étranglé ma soeur avec son cordon ombilical. De ces petites mains, elle avait pris le bout de chaire et avait étranglé le bébé.
Elle l'avait réellement fait.
Je ne sais plus comment on l'a appris. Qui nous l'a dit. Pourquoi. Je ne sais pas.
Sophie n'était même pas encore née mais elle était déjà une meurtrière. Un assassin.
Quelques jours seulement après la naissance de Sophie, le mari Anglais est partit sans laisser d'adresse. Ma Tante s'est suicidée. Elle a entraînée dans sa mort un tout petit corps. Tout le monde a pris ce corps pour celui de Sophie.
Elle a été déclarée comme morte. Elle ne s'appelait pas Sophie à ce moment là. Je l'ai prénommée, Sophie. Parce qu'elle n'avait plus de nom. C'est la seule chose, avec de la douleur, que maman à donné ma soeur. Moi, a l'évoque, j'étais déjà Valentine. Je ne me rappelle plus de mon nom de famille.
En tout cas, Maman a failli mourrir avec sa jumelle. Elle a perdu une partie d'elle. Elle s'est presque perdue elle-même.
Mais elle devait s'occuper de moi, alors elle n'est pas morte.
«Je n'ai plus jamais été la même», m'a dit Maman.
Elle ne s'est jamais réellement remise de la mort de sa jumelle. Et la coupable habitait sous son toit.
Alors, Maman s'est vengée.
Maintes et maintes fois, elle s'est vengée.
Toutes là douleurs qu'elle avait reçue, elle l'a rendue. Oh oui, elle l'a rendue. Et j'étais d'accord. Apres tout, Sophie N'ExistePas a tué ma première mère. Oui, j'ai toute les raisons de la détester.
Mais à présent, je m'interroge: Sophie a t'elle tué sa jumelle consciemment ? Pour ce crime qu'elle n'a peut être pas commis, devait elle être privée d'existence ? Maman ne s'est sûrement pas posé la question. Toute à sa douleur. Je la comprend. Elle a perdu sa jumelle et sa vie par procuration.
Mais peut être devrait elle sauvée, elle aussi.
Je ne vais pas faciliter la vie à une assassin. Mais je vais quand même la laisser s'échapper de sa prison. De sa cave.
Parce que cette assassin est ma soeur. Malgré tout, malgré sa triste nature, elle est ma soeur. Alors je vais la sauver. Et sauver ma mère, la libérer de cette haine qui la ronge.
Le soleil se couche. Je vais amener ma soeur au commissariat.
J'espère qu'elle vivra une belle vie, qu'elle rencontrera des personnes aimantes qui l'adopterons, sans savoir ce qui s'est passé dans le ventre de notre mère biologique.

Le syndrome du parapluie rougeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant