Chapitre 6_ Choc

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Tout était sombre. Du moins, en grande partie sombre, parce que, malgré les ténèbres envahissantes, je pouvais distinguer des ombres qui se mouvaient.

Soudain, je perçus le crépitement caractéristique du feu, et le rougeoiement des flammes éclaira la scène. J'eus un sursaut.

La première personne que je vis fut Cruella. Je ne pus m'empêcher de la trouver magnifique: elle portait une robe blanche et vaporeuse, semblable à celle d'une mariée. Les bijoux qui l'ornaient scintillaient sous les flammes. Ses ailes noires se dressaient fièrement dans son dos, toujours aussi immenses. Cruella était majestueuse.
Près d'elle se tenait le petit homme que je surnommai immédiatement Gus, sans aucune raison apparente -si ce n'est que je trouvais qu'il avait une tête à s'appeler Gus. Il observait ce qu'il se passait devant lui, les yeux écarquillés, alors que sa maîtresse était d'un calme mortel.

Je me retournai pour voir ce qui choquait tant ce pauvre Gus. A mon tour, je me figeai.

Il y avait une véritable foule. Des hommes, des femmes, des enfants, tous ailés étaient là. Étrangement muets, ils observaient Cruella, qui les surplombait sur une sorte d'estrade. Leurs oreilles pointues, comme celles de la femme, semblaient fébriles. Puis, au bout de ce qui me sembla être une éternité, la foule se coupa en deux. Une allée se forma. Une rangée de femmes portant des torches éclaira le chemin. Une sorte de roulement de tambours résonna soudain dans le silence. Je me raidis.

Cinq hommes apparurent. Un à l'avant, portant un sabre sur le coté. Un autre à l'arrière, un arc et un carquois dans le dos. Au centre, deux hommes soutenaient un prisonnier. Enfin, je supposai que c'était un prisonnier, car il avait les mains liées derrière le dos et trébuchait tous les deux pas à cause d'une corde autour de ses chevilles qui ne lui permettait de faire que de petites foulées.

Toute la foule le regardait, interdite.
C'était un jeune homme qui semblait n'avoir que quelques années de plus que moi seulement. Il portait des vêtements déchirés et en lambeaux, si bien que l'on pouvait voir son torse musclé striés de plaies entrain de cicatriser. Ses ailes d'un gris pitoyable pendaient tristement dans son dos courbé. Sale et couvert de poussière, il redressa la tête. Je vis que ses yeux étaient mordorés mais paraissaient éteints. Des cheveux noirs, crasseux et ébouriffés parsemaient son crâne. La pointe de ses oreilles fines sembla se redresser.

Il fouilla la foule du regard. Ses paupières se plissèrent. Il interpela une des femmes qui soutenaient les flambeaux. Elle était assez âgée et avait les mêmes yeux mordorés que le prisonnier. J'en déduisis que c'était sa mère. Je crus qu'elle allait se précipiter vers son fils mais elle se détourna simplement, le visage figé dans un masque d'indifférence. La corde qui enserrait les pieds du prisonnier le fit chuter. Les autres hommes hésitèrent quelques secondes à le relever, voyant qu'il ne donnait aucun signe de vie, à terre. Les roulements de tambour cessèrent.

Les deux soldats de chaque côté du jeune homme se penchèrent. Il y eut un mouvement flou: le prisonnier s'était redressé d'un seul coup. Il avait à la main une pierre coupante qui lui avait apparemment servi à trancher ses liens. Vif, il assomma les deux gardes qui ne s'étaient pas encore redressés. Les deux autres à l'avant et à l'arrière se jetèrent en avant pour l'empêcher de fuir. Avec l'énergie du désespoir, les ailes du jeune hommes eurent un battement affolé. Elles se redressèrent, révélant leur immensité. Elles étaient encore plus grandes que celles de Cruella. Le prisonnier força ses ailes à battre avec un effort évident. Il grimaça, comme s'il avait une crampe, et frappa le sol de ses pieds pour prendre son essor.

Je frissonnai. Il volait désormais. Il volait, tel un oiseau dans la noirceur d'encre du ciel. Ses ailes bougeaient lentement mais sûrement, l'élevant toujours plus haut. D'un commun accord, les deux soldats restants prirent aussi leur envol. Le premier poursuivit le jeune homme, arme au poing. Le fugueur tenta de s'échapper en prenant de la hauteur, mais son poursuivant était rapide et le rattrapa en peu de temps. L'épée du soldat effleura le torse du jeune homme, déchirant davantage ce qu'il restait de ses vêtements. Celui-ci se recula vivement, et, d'un geste étrangement souple du poignet, désarma son adversaire. Dans le même mouvement, sa main soutenant la pierre tranchante s'approcha de la gorge du soldat.

Aedenia #WTG2017Où les histoires vivent. Découvrez maintenant