Je pleurs. Mes larmes brûlent mon visage comme si mes yeux étaient en feu mais nous sommes en hiver, je suis dans mon jardin et il neigerait sûrement si je les ouvrai, mes yeux. Mais je ne peux pas les ouvrir, comme je ne peux pas fermer mes oreilles, ni me couper de ce monde.
Je suis née dans une petite ville d'Irlande, Galway, où mes parents ont vécu tous deux leurs premiers jours, se sont rencontrés et où ils se sont mariés. Je n'avais pas encore de véritables pieds qu'ils se battaient déjà pour mon prénom. C'est ma grand-mère paternelle qui a finalement fait cesser cette guerre: je m'appellerai Jasmine, et je serai "la plus forte des petites filles" qu'elle connaîtrait. C'est ma mère qui m'a raconté cette vieille histoire, car malheureusement, ma grand-mère est morte deux semaines avant ma naissance. Mon père a vu cette tragédie comme un signe. Il ne m'a jamais vraiment porté dans son cœur, et maman avait de moins en moins de place dans celui-ci.
Notre famille habite une petite maison dans la périphérie, juste à côté d'une librairie. Elle a deux étages, mais également un grenier que mes parents ont décidé d'aménager il y a quelques années pour me faire une salle rien qu'à moi. J'y ai entreposé toutes mes poupées, mes jouets, mon tapis de course et j'y ai passé beaucoup de temps. J'ai rangé dans une étagère quelques livres avec des images pleines de couleurs. J'aime énormément cette salle, et tout ce qui la compose. Il y fait froid la nuit, mais en été, maman m'autorisait à dormir en haut avec un sac de couchage, et je passais des heures à fixer les étoiles par le velux. Quand mon père a quitté la maison, maman a transformé mon lieu magique en débarras pour tous les vieux souvenirs et les vieilles affaires de son ex-mari. Je n'avais plus le droit d'y monter, pour ne rien casser je suppose. J'avais vraiment envie de retrouver mes jouets, mes livres, ma fenêtre, mes étoiles, mon enfance. Je ne pardonnerai jamais à mon père de nous avoir infligé son départ, comme si maman et moi ne comptions pas. C'était il y a quelques mois, maman avait encore l'espoir qu'il revienne.
Alors ce jour-là il est revenu, mais seulement pour anéantir ce qu'il avait laissé derrière lui.
Je pleurs depuis quelques minutes mais sans bruit. J'ai appris à le faire en silence pour ne pas réveiller maman la nuit quand je repense à de mauvais souvenirs. J'entends les fracas de verres dans la cuisine, les hurlements de maman, les cris de colère de mon père, et je me bouche les oreilles autant que je peux. Mes amies à l'école m'ont prévenues que ce dimanche, les parents allaient faire "la parade de l'amour" comme chaque année. Le 14 février, c'est la Saint-Valentin, alors les amoureux se tiennent par la main et se font des bisous devant les vitrines des chocolateries, ou bien regardent des films ensemble avec du chocolat chaud, comme l'a dit la maîtresse. C'est aujourd'hui que mon père a décidé de donner à ma mère des papiers à signer. J'ai vu ma mère tomber à genoux et mon père a commencé à faire sa grimace "j'en ai marre de toute cette comédie", il m'a regardé prendre maman par les épaules pour lui demander ce qui n'allait pas et m'a poussé dans le jardin. En fermant la porte derrière lui, il m'a enfin adressé la parole:
- Ne te mêle pas des affaires des grands. Reste dehors, je vais parler à ta mère.
Au début, je ne pensais qu'à rentrer pour voir maman, puis je l'ai entendu pleurer comme elle l'a fait le jour où il est parti. Elle pleurait comme si on lui arrachait une partie du corps. Je déteste mon père. Je ne veux plus qu'il entre dans notre maison, je ne veux pas entendre cette dispute. Alors, je pleurs. Parce que je sais qu'une enfant de six ans ne peut rien faire pour arrêter deux adultes qui hurlent.
Le lendemain, maman m'annoncera au petit-déjeuner que mon père ne reviendra plus, je sourirai un peu mais je ne dirai rien de cette joie qui s'empara de moi devant son visage rouge et ses yeux vides. Je ne parlerai pas non plus de Tom.
Tom est arrivé quand je ne pleurais presque plus. Je fixais un oiseau qui sautait sur la neige et attrapait dans son bec quelques brindilles. Je ne pensais plus à rien et ce petit garçon est venu s'asseoir sur la balançoire à côté de moi.
- Attention, j'ai cassé la planche quand j'ai voulu me mettre debout dessus, j'annonçais cela automatiquement sans même le regarder, je n'étais concentrée que sur l'absence de bruit dans la maison.
- Je m'appelle Tom. Joyeuse Saint-Valentin, Jasmine.
(A SUIVRE...)
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Joyeuse Saint-Valentin!
Short StoryGalway, en Irlande. Jasmine est une petite fille de six ans, perdue entre le divorce de ses parents et les questions qu'elle se pose sur la vie. Le jour de la Saint-Valentin, elle fait la rencontre de Tom, un garçon du même âge, alors qu'elle n'est...