Lettre de guerre

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Cher Aria,

John m'a dit qu'écrire aidait à soulager sa conscience. Je t'écris donc cette lettre que tu ne liras jamais, pour te dire que je ne te reviendrai sans doute pas. J'espère que tu prendras soin de toi et des enfants. C'est la fin..

Ils vont capituler mais je n'en peux plus.

Nous mangeons bien je te rassure, nous mangeons comme des rois. Pommes de terres, poulets, vins. Toute sorte de délicieux mets que nous avons volé.

Volé, oui. Car nous n'avons pas le choix.

En ce qui concerne ma santé aussi, tu n'as pas de soucis à te faire, j'ai des médicaments à disposition, le pays nous en envoie régulièrement.

Et pour ce qui est des conditions de vie, nous prenons tous notre douche 3 fois par semaine, parfois au Q.G. que nous avons réussi à installer, parfois dans des maisons d'étrangers.

Tu sais, je devrais être fier de diriger la brigade qui a mené à bien la capture des résistants. Pourtant je me sens sale, monstrueux et affreux.

Pourquoi ?, vas tu me demander, n'est ce pas ?

Parce que nous tuons des femmes, des enfants, des innocents.

Et pour qui ? Hein ? "Pour notre pays"

J'imagine si les rôles étaient inversés, si c'était toi, mon amour qui était victimes de personnes comme moi, si nos enfants étaient arrachés à nous par des balles de fusils à pompes . J'en mourrai de souffrance.

Je n'arrive plus a fermer les yeux, je me remémore sans cesse les odieux actes que j'ai commis. Je revois les pleurs, je réentends les cris, je ressens la douleur.

Ils me l'ont dit avant que je ne m'engage, "vous devez être un homme fort et courageux pour votre pays".

Mais je suis en complet désaccord, est-ce être brave que de saccager des maisons ? Les piller et y expulser les habitants ?

Est-ce être fort que de se battre contre des personnes qui ne peuvent rien faire ?

Je ne me retrouve plus, je ne sais pas ce que je fais ici ni qui je suis.

Mais j'ai pris ma décision..

Hier, alors que je fermai les yeux, j'ai rêvé d'elle.

Je suis heureux de savoir que tu ne liras jamais cette lettre, mais je suis aussi honteux de l'écrire.

Je crois que ce jour était le pire de ma vie, après le décès de Maman. Je ne sais pas ce qu'il m'a prit, je te le jure Aria, mon amour, ma femme, ma vie, je ne voulais pas.

C'était une femme d'une beauté inouïe, son prénom était Maria, cela n'avait pas d'importance pour eux, mais moi je voulais le connaître.

J'avais ordonné à mes hommes, par l'intermédiaire d'un sergent inférieur, de rejoindre l'est de la ville ou nous irions arrêter un groupe de résistants émergeant.

Quand j'y repense, où est le mal à résister ? Après tout, nous sommes ceux qui sont venus coloniser des terres qui ne nous appartiennent pas.

C'est comme si notre voisin John demain, venait nous voler notre maison, il est évident que je résisterai ! Je suis sur que toi la première, tu empoignerai ta poêle Tefal pour le cogner avec.

Enfin, plus sérieusement, il commençait à faire nuit lorsque nous sommes montés dans nos chars pour rejoindre l'est de la ville. Nous avons capturé tout le monde, femmes, hommes, vieux, vieilles, filles, garçons, handicapés. Nous ne pouvions plus les compter, ils étaient plus d'une centaine. Nous les avons enchaînés et entassés dans une sorte de pièce que je ne pourrai te décrire tant elle est hideuse et inhumaine.

Parmi ce groupe, se trouvait une femme. Elle a tout de suite attiré le regard sournois et pervers d'un de mes supérieurs, Sanders. Il a attendu la nuit pour la prendre et chacun de leur tour, ses collègues et lui l'ont violé.

J'étais là et je n'ai rien fait.

Cette atrocité avait lieu sous mes yeux.

Oui.

J'étais là à regarder les larmes couler de ses yeux noirs corbeau, j'étais là à l'entendre crier de souffrance et de rage, comme si on lui enlevait le coeur, j'étais là à la voir se débattre à l'aide de ses petites mains en vain.

Eux se contentaient de rire, de la toucher, la tripoter, la regarder, la dénuder et à la frapper.

Ils lui ont enlevé sa fierté, son honneur, sa pudeur et la vie.

Elle portait jusque là une ample robe lui arrivant aux chevilles d'un bleue sombre et aux manches longues, une timide pudeur.

Un petit châle pale reposait sur ses épaules et tout autour de son cou, voilant ainsi sa respectueuse silhouette.

Jusqu'au bas de son dos, s'emmêlaient ses longs et ondulés cheveux bruns, parfaitement en accord avec son teint mate et avec sa bouche couleur sang.

Ils m'ont proposé à plusieurs fois de venir moi aussi, "tirer un coup", j'ai refusé poliment, quitte à me prendre de petites brimades comme "froussard".

Sur le moment j'avais été vexé, mais maintenant que j'y repense, ce sont eux les trouillards.

Je te dois la vérité, elle m'a tout de suite attiré et je crois que c'est pour ça que je les ai laissé faire, car je t'ai toi et je ne voulais pas te trahir ni me sentir coupable. Mais je culpabilise finalement plus !

Je n'arrête pas d'y penser, tu sais, mon coeur tambourinait, quémandant la sortie de ma cage thoracique, mes mains étaient moites et fermement serrés par mes bras tandis que mes lèvres étaient arrachées par mes dents.

La sueur coulait et mes yeux enregistraient tout telle une caméra vidéo.

Je n'ai pas pu détourner le regard, et je t'assure que pourtant, j'ai essayé.

Mais c'en est trop, c'était la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. La goutte de sang je dirais même ...

Cela fait maintenant une semaine que ça s'est produit, et depuis, je ne cesse de faire des cauchemars et de revoir son petit visage angéliquement triste.

Je me réveille plein de palpitations et je m'en vais courir vomir.

C'en est trop pour moi.

Je ne reviendrai pas Aria, si je le faisais, je ne pourrai te regarder toi ou nos enfants sans souffrir et sans vous faire souffrir.

Je mérite le même sort que ces victimes. Je mérite pire.

Dans cette histoire, il y'a les victimes et les coupables. Il n'y a pas un pays du bon côté et un du mauvais, il n'y a pas de vainqueurs et des perdants, il n'y a pas de fierté.

C'est une guerre et c'est une honte pour celui qui la provoque.

Je vous aime et j'espère que vous aurez une belle et heureuse vie, Aria, Lily, Alex.

Adieu.

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C'est un texte que j'ai écrit pour un concours organisé par @Thebadwonderland où le thème était

"Vous avez vécu une nuit où vous avez connu la peur/l'angoisse, racontez là"

J'ai gagné la première place et ça m'a fait très plaisir alors j'espère que vous aussi, apprécierez :D C'est un texte assez différent de ce que j'ai déjà écrit mais j'ai aimé le rédiger, bien que je me sois un peu cassée la tête xD

J'ai voulu parler de quelque chose de sérieux et d'exprimer un peu mon avis. Voila voila

Dans les étoiles (le june coffee)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant