Chapitre XI (Partie 2)

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Lexa passa trois jours à attendre dans une angoisse terrible. Elle se rongeait les sangs, ses nerfs étaient à fleur de peau, et elle sortait dès qu'elle entendait un peu de bruit en dehors de sa chambre. Elle passa ses nuits à se tourner et retourner, à chercher le corps de Costia à ses côtés. Elle finit par se poster chaque nuit sur le balcon, attendant un signe de vie. Le jour, elle errait tel un fantôme entre les habitations, se tordant les mains, ou alors elle restait dans ses appartements, et retournait entre ses mains les horribles sculptures de Costia. Elle l'attendait. Elle attendait l'amour de sa vie comme une princesse attendait son prince charmant, hormis que pour elle ce n'était pas un prince mais une princesse. Une princesse guerrière. Une princesse guerrière extrêmement têtue. Une princesse guerrière extrêmement têtue et enceinte. Son désespoir augmentait dès qu'elle pensait à nouveau à cet enfant, celui que Costia portait. Elle priait pour qu'il ne connaisse pas un sort aussi funeste qu'elle le craignait. Elle priait pour que Costia lui revienne en vie et bien portante, et qu'elles puissent vivre ensemble, et qu'elles puissent élever leurs enfants, et qu'elles puissent mourir ensemble, main dans la main. La pire chose qu'on pouvait lui infliger était de lui ôter Costia si tôt, était que Costia meure avant elle. Alors elle priait pour que son vœu soit exaucé, pour que sa Costia, son amour, son cœur, la femme qu'elle aimait et aimerait à jamais, soit en vie et revienne à ses côtés.

Illusion irréelle, désillusion réelle. Au matin du quatrième jour, Lexa se réveilla à côté de la pire vision de sa vie. Costia. Ou plutôt, sa tête. Sa tête, et rien que sa tête, aux yeux morts grands ouverts, au teint cadavérique. Lexa hurla en se jetant en arrière. Elle crut que c'était un cauchemar. Mais ce n'en était pas un. La douleur qu'elle ressentit lorsqu'elle tomba sur le sol, elle était bien réelle. Et les cheveux de Costia sous sa paume lorsqu'elle les toucha, ils étaient bien réels. Emmêlés, crasseux, souillés, mais réels.

Lexa fondit en larmes, serrant la tête décapitée de son aimée contre son torse. Ce fut ainsi qu'Anya et Titus la trouvèrent, alertés par ses cris d'horreur. Ils se figèrent à côté du lit de la Commandante, de leur Commandante dévastée par la mort de cet amour, par son cœur brisé. Lexa porta la tête devant son visage, et embrassa les lèvres froides de son aimée, et se rappela.

La première fois qu'elle avait vu Costia, elle avait 6 ans, et Costia encore 5. Elles s'étaient vite liées d'amitié, étant les deux seules filles jusqu'à l'arrivée de Mia et Nalia. Costia était déjà une boule d'énergie, une véritable pile électrique, en ce temps-là.

Puis quand elles étaient devenues adolescentes, Costia avait changé. Elles s'étaient éloignées, disputées, ne s'étaient plus parlé hormis pour se lancer des piques ou se moquer de l'autre. Costia avait commencé à creuser l'écart entre elle et les autres, et Lexa l'avait vue grandir et mûrir, se transformer en une femme aussi magnifique que douée, et c'était à ce moment-là qu'elle avait commencé à s'intéresser à elle. Elle avait commencé à être attirée par Costia, puis ça avait été le moment pour eux de se séparer et elle l'avait oubliée.

Quand Costia était revenue, elle avait ressenti de la joie, du bonheur de la revoir. Son changement de coiffure lui donnait un air à la fois plus sombre et plus attirant qu'auparavant. Une véritable guerrière. Une mauvaise fille plus attirante à ses yeux que les mauvais garçons. Alors quand elle l'avait vue avec Nalia, elle avait compris que non, décidément, elle n'éprouvait pas de jalousie pour Costia. Elle ne savait pas encore définir ce qu'elle ressentait, elle refusait encore de croire son cœur. Mais au fur et à mesure qu'elle la côtoyait un peu plus chaque jour, elle comprenait qu'elle l'aimait. Elle comprenait que Costia l'avait attirée dès le premier jour, et que depuis elle n'avait cessé de combattre cet amour qui avait pris racine au plus profond de son cœur. C'était un coup de foudre, certainement.

Puis Costia était tombée malade. Elle avait eu si peur, tellement peur... Elle avait fait de son mieux, elle s'était démenée pour trouver ceux qui lui avaient fait ça, et elle avait réussi. Et elle lui avait dit, quand elle était malade, qu'elle l'aimait. Puis elle l'avait embrassée, pour l'empêcher de la disputer encore. Et Costia avait répondu à son baiser, lui avait dit qu'elle l'aimait. Ca avait été l'un des plus beaux jours de sa vie.

Et elles avaient parlé famille. Et Costia avait décidé de lui faire plaisir en tombant enceinte. Quel bonheur ça avait été, que d'attendre avec impatience cet événement, et que de plaquer son oreille sur le ventre de son amante pour essayer de percevoir les coups de pied de leur enfant. De l'enfant qu'elles voulaient élever, et qu'elles avaient eu tellement envie de voir, qu'elles avaient tant imaginé. Elle faisait encore plus attention à Costia qu'auparavant, la chouchoutant plus que jamais dans leur monde cruel, lui donnant autant d'amour qu'elle le pouvait, pour qu'elle sache que jamais elle ne la laisserait tomber, que jamais elle ne cesserait de l'aimer, quoi qu'il arrive.

Et Costia avait disparu. Quelle horreur ça avait été pour Lexa que d'attendre de ses nouvelles sans rien savoir. Quelle impuissance, quelle terreur elle avait ressenties. Chaque jour plus fortes, chaque jour plus présentes, chaque jour plus poignantes. Jusqu'à en être insoutenables.

Elle avait prié pour son retour. Elle avait prié pour la revoir. Mais elle voulait la revoir vivante. Pas morte, pas figée pour l'éternité. Elle l'avait dit, non ? Perdre Costia était la pire chose qui pouvait lui arriver. Et elle l'avait perdue. Elle avait perdu la seule personne qu'elle aimait, la seule personne avec qui elle voulait vivre et fonder une famille et régner. Elle avait perdu la seule personne qui avait volé son cœur comme son âme, la seule personne en qui elle avait la confiance la plus totale, la seule personne qui savait réellement la comprendre, parce qu'elle connaissait aussi le fait de se chercher, de se battre pour quelque chose et d'être entourée d'incapables.

Elle n'avait plus de Costia à aimer. Plus de peau à caresser, plus de lèvres à embrasser, plus de femme à aimer. Elle n'avait plus rien. Son sourire, tantôt espiègle tantôt tendre ; ses yeux, tantôt amoureux tantôt froids ; ses remarques, tantôt sarcastiques tantôt sincères. Tout ça avait disparu, définitivement. Que restait-il ? Une tête. Le charme sauvage de Costia avait disparu en même temps que son dernier souffle. Sa coiffure, ses tatouages, ses habits, ses armes, son corps, Lexa, n'étaient plus rien sans elle. Sans cette rage de vie si caractéristique de la jeune femme, sans cette envie folle de vivre sans se soucier des autres, Costia n'existait pas.

Lexa resta toute la nuit à dormir en tenant la tête de celle qu'elle aimait. Elle ne pouvait même pas décrire l'étendue de l'amour qu'elle éprouvait pour Costia. Elle savait juste qu'un univers entier ne suffirait pas à le contenir. Et elle savait également que malgré sa disparition, Costia serait son seul véritable amour, que jamais plus elle ne pourrait ressentir la même chose pour quelqu'un. Costia était unique, son amour pour elle aussi. Costia était grandiose, son amour pour elle aussi. Costia était morte, son amour pour elle ne mourrait jamais.

Au matin, elle la tête de Costia, la mit dans un sac de jute puis sortit. Un immense brasier avait été préparé, et n'attendait plus que son aimée. Elle alla placer son fardeau au sommet de la pyramide. Elle-même prit la torche qu'on lui tendait, mais avant toute chose, avant de mettre le feu au bois, elle rouvrit le sac. Même ainsi, son visage exprimait sa rage de vivre. Tendrement, Lexa caressa une dernière fois son visage : ses yeux, ses pommettes, ses joues, ses lèvres, sa cicatrice. Elle posa sa main sur sa joue, puis se pencha pour lui donner un ultime baiser, à la saveur particulière, avant de murmurer : « Ton combat est terminé. » puis d'ajouter : « Je serai tienne jusqu'à ma mort. » et de conclure : « Je t'aime, Costia du Clan de l'Eau. » Puis elle redescendit, et mit le feu aux restes de son amante. Elle la regarda brûler, ses larmes roulant sur ses joues.

Elle resta à contempler le bûcher, ignorant le cor qui annonçait une arrivée. Elle ne partit que lorsqu'il ne resta qu'un tas de cendres de Costia. Et avant de partir, elle prit une poignée de cendres, et la fit glisser entre ses doigts dans une urne qu'elle alla cérémonieusement poser dans le berceau qu'elle avait fait fabriquer pour leur enfant, et qui était censé être un cadeau au retour de Costia. Alors, et alors seulement, elle ressortit.

« Nous sommes ici pour célébrer l'arrivée de la Nation des Glaces dans la Coalition, faisant d'eux le douzième Clan. Mais nous sommes aussi ici pour rendre hommage à ma compagne, Costia, morte tragiquement, mais également pour pleurer son enfant, notre enfant, disparu avec elle. Costia a été tuée par la Nation des Glaces. Pour cela, le Prince Roan de la Nation des Glaces est banni de son Clan, et quiconque lui prêtera assistance ou l'hébergera partagera le même sort. »

~ END ~

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