Chapitre 1: Convocation

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J'étais en sueur, je n'en pouvais plus. Mon bras me paru peser une tonne quand je le levais pour l'abattre sur le troisième mannequin de bois de l'heure. La tête tomba enfin en envoyant une multitude d'éclats sur les côtés, et je pus enfin- avec un immense soulagement- envoyer mon épée rejoindre ma veste sur le sol. Les mains sur les genoux, je reprenais mon souffle. Je relevais la tête seulement après un long moment et vis Papillon courir vers moi. C'était une orpheline de sept ans qu'on avait recueillie quelques années auparavant. Le camp d'entraînement Ysze-Baerd en recueillait une dizaine comme elle chaque année. Moi, Ysha Onclaire, seize ans et quelques, grande, cheveux châtain très courts (à cause des règles vestimentaires du camp), les yeux verts comme les émeraudes de mon bracelet, j'en faisais partie depuis qu'on m'avait déposée, à l'âge de cinq ans et avec une lettre de mes "parents" dans les mains, devant la porte des dortoirs. Au camp Ysze-Baerd, ça ne plaisantait pas: ici, on forgeait de futurs Azurris, les meilleurs guerriers de l'empire. Nous qui avions la chance d'y être sans avoir à payer quoi que ce soit, nous donnions le meilleur de nous-mêmes pour faire honneur au camp. Après quelques secondes, Papillon arriva devant moi à bout de souffle, et haleta une phrase incompréhensible. Je la fis se calmer, puis répéter

- Monsieur...veut te...voir...

- Monsieur !? T'es sûre ?

- Oui, oui...dans... son bureau, acheva-t-elle

La fillette blonde s'assit sur le sol sans se soucier de son uniforme et s'acharna à réduire en poussière le reste de tête du mannequin avec son poignard de ceinture. Bien qu'elle soit mignonne, je ne comprenais pas toujours ses passe-temps. Pour ma part, je ramassais mes affaires éparpillées et enfilais ma veste après l'avoir époussetée. Il était étrange que Monsieur veuille me voir. Monsieur, c'était le grand directeur du camp: en entier, Monsieur Dithab Ysze-Baerd, le fondateur. En général, il restait dans son bureau sans appeler personne, et c'était très bien ainsi. Pour ce que j'en savais, Monsieur était un gros bonhomme barbu qui commandait tout et tout le monde ici, et dont tout le monde avait un peu peur. C'est donc les mains moites et toute tremblantes que je pénétrais dans le bâtiment des bureaux. A l'accueil, Alec daignât m'accorder un regard avant de replonger dans sa manucure en marmonnant :

- Tout droit, puis tout en haut et puis tout au fond.

Chaleureux et accueillant, comme toujours... Après avoir traversé le couloir, je gravis une à une les marches de l'escalier qui me parut interminable. Elles s'arrêtaient pourtant au douzième palier. Une fois arrivée là, je suivis le seul chemin possible, l'immense couloir. Je m'étonnais du nombre de portes et me demandais si je n'avais pas raté celle du bureau de Monsieur. La réponse m'apparut évidente quand je me retrouvais au bout du couloir, devant une immense porte de bois ouvragé. J'avançais une main tremblante vers le heurtoir d'argent et frappais deux fois. Il y eut un silence et ma main retomba. Puis la porte s'ouvrit dans un grincement et j'entrevis le nain serviteur Kermar. Il était gentil mais assez effrayant avec sa tête triangulaire et ses oreilles tombantes. On racontait qu'il existait au large une île peuplée uniquement de créatures semblables, mais il restait le seul spécimen dans tout l'Empire. Il se retira bien vite dans un coin après refermé la porte. Alors seulement je découvrais le bureau immaculé. Tout y était blanc, des tableaux vierges aux meubles en passant par les tapis et les murs. Seul Monsieur y apportait le gris de son costume et le vert de ses yeux. Il était encore plus impressionnant en vrai que je ne l'avais imaginé. Bel et bien gros et barbu, il devait friser la soixantaine. Et il avait des goûts étranges en matière de décoration. Sa tête ronde était éclairée d'un sourire bienveillant, et ses yeux étaient à moitié cachés par des sourcils broussailleux. Il n'avait pratiquement plus de cheveux, ni de cou. Sur son bureau de bois blanc, un écriteau proclamait « M.Ysze- Baerd ». Devant lui se trouvait une enveloppe cachetée. Je remarquais l'étrange sceau qui l'ornait quand il m'invita à m'asseoir, ce que je fis. Il toussota avant de commencer:

- Mademoiselle... (Il regarda l'enveloppe) Onclaire, c'est bien ça ?

- Oui, Monsieur.

- Vous avez reçu cette lettre ce matin (il la souleva et la garda dans ses mains). Vous savez pourtant que c'est interdit hors-période.

- Mais... Je n'ai personne à l'extérieur qui pourrait m'envoyer du courrier. Est-ce que je pourrais savoir qui me l'envoie?

- Pas d'expéditeur. Mais je vous en prie, ouvrez-la.

Ceci dit, il me tendit l'enveloppe. Je la décachetais rapidement, et en sortais un papier blanc tout à fait normal, plié en deux. Je lu à haute voix: «

    Premier ministre Aba Simphel                                                                          Palais impérial de Naluar A Mlle Onclaire Ysha                                                                         Le six de la lune de sable

                 Mademoiselle, J'ai l'honneur de solliciter votre présence au nom de l'empereur Isban I, de la dynastie myrrite, au palais Impérial de Naluar, le vingt-six de cette lune pour une audience avec Son Altesse Impériale l'Empereur. Cette missive n'ayant rien de confidentiel, il m'est impossible de vous en dire d'avantage, si ce n'est que votre présence est indispensable.

                                                                Cordialement Premier ministre Aba Simphel »

Abasourdie, je relevais la tête et croisais le regard de monsieur, tout aussi incrédule que moi. Après quelques secondes d'un silence étonné, il balbutia :

- A que... L'Empereur ! Mais...Pourquoi ?

Ne sachant que répondre, je restais coite. Il reprit cependant:

- Eh bien, vous ferez honneur au camp Ysze-Baerd. Vous partirez pour le palais après-demain, il est à quinze jours d'ici à cheval. Faites d'ors et déjà vos adieux.

Je retrouvais Papillon dans mon carré d'entraînement avec Sacha, une pensionnaire. Dès qu'elle m'aperçut, Papillon me sauta au cou.

- Ysha! Alors? Pourquoi il voulait te voir, Monsieur? J

e leur racontais par le menu ce qui venait de se passer dans le bureau immaculé. Il me fallut répéter plusieurs fois car elles m'interrompaient sans cesse pour des détails ("de quelle couleur est la barbe de Monsieur?", "c'est vraiment tout, tout blanc?", ou encore "l'Empereur, t'es sûre?"). Enfin, je terminais mon récit par l'annonce de mon départ pour une durée indéterminée, et les larmes dans les yeux de Papillon à cet instant me firent plus mal qu'autant de coups de poignard. Elle ne dit pas un mot, se retourna seulement pour pleurer. Depuis cinq ans qu'elle était arrivée, nos liens étaient devenus quasi-filiaux; je m'occupais d'elle un peu à la manière d'une mère. Sacha, pourtant du même âge que moi, n'eut pas autant de retenue: elle s'effondra dans mes bras. Sacha était comme ma sœur. A nous trois, nous formions cettev famile qu'aucune de nous n'avait jamais eu. Nous finîmes pleurant toutes trois dans la poussière, jusqu'au soir. Le lendemain passa comme un éclair, entre les derniers au-revoir et les préparatifs. Un nain serviteur vint me réveiller à l'aube du 8. Je me préparais et descendais dans la cour d'honneur en silence. Monsieur était là, et à côté de lui, Kermar tenait la longe d'un magnifique hongre gris. Monsieur pris alors la parole:

- Zéphyr t'accompagneras le long de ce voyage. Que les étoiles te soient favorables.

Ne sachant que dire, je le remerciais et montais en selle. Une lourde sacoche pendait sur les flancs du cheval, contenant mes vivres pour deux semaines et ma convocation. Après un dernier signe de main, je partis vers le nord et le palais impérial. A la fenêtre du bâtiment des orphelins, je devinais la petite tête blonde qui devait me regarder partir. Je sentis de grosses larmes rouler sur mes joues

Douze [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant