Chapitre 2: Voyage

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Après dix jours passés dans les hautes herbes des plaines de Seeba, j'atteignais enfin les portes de Nasria. De là, Naluar n'était plus qu'à cinq jours. J'avais donc trois jours d'avance sur ce qui était prévu. Je n'avais pratiquement plus de nourriture et ces dix nuits à dormir sur le dos de Zéphyr m'avaient plus épuisée que reposée. Avec mes trente tlems, je pourrais me payer un lit et un bon repas. C'est ce que je décidais de faire en poussant la porte d'une auberge sombre et bruyante nommée " La Brigandine". L'intérieur respirait la sueur et l'alcool, un mélange pas franchement très appétissant. Je m'approchais du comptoir en contournant une table de tueurs à gage en réunion et une serveuse maladroite. Une femme rousse à la figure striée de rides m'examina en haussant très haut un sourcil inquisiteur:

- Qu'est-ce tu veux, toi? Je ne donne pas les restes!

- Je ne suis pas une mendiante! M'indignais-je.

Un sourire mauvais se peignit sur le visage de la tenancière.

- Bien sûr, et moi j'suis l'impératrice! Dégage, vermine!

Je restait bouche bée devant une telle impolitesse: j'avais toujours été habituée à la déférence que l'on a pour les élèves d'ysze-Baerd, son air hautain m'horripilait autant que son horrible sourcil roux. Visiblement, elle ne savait pas à qui elle avait affaire. J'enlevais calmement ma veste, lançait la bourse sur le comptoir et dis:- Je voyage depuis dix jours, je suis fatiguée, et maintenant, j'aimerais avoir un lit et un repas. Mon épaule dénudée révela le tatouage des élèves du camp, bien connu dans tout l'empire: un Y et un B imbriqués dans un cercle. Le sourcil de la femme retomba d'un coup.

- J'ai trente tlems, déclarais-je.

Elle me tendit les clés d'une chambre et m'informa que le dîner serait servit dans deux heures. J'acquiesçais et montait l'escalier de bois grinçant. En haut des marches, une fille vêtue d'une combinaison de cuir jouait avec son poignard, appuyée au mur. Ses cheveux blonds et bouclés lui descendaient en cascade jusqu'à la taille, et ses yeux de jais semblaient me transpercer, mais surtout, elle portait e tatouage d'Ysze-Baerd au poignet. J'essayais de lui accorder le moins d'attention possible en passant devant elle pour rejoindre ma chambre (la 14). Elle m'attrapa par la manche et tira un coup sec qui me fit me retourner face à elle. Je me mettais en position de combat quand elle prit la parole, ses dents blanches luisants dans la pénombre:

- Du calme, tu viens d'Ysze-Baerd, hein? Qu'est-ce que tu viens faire par ici?

- En quoi ça te regarde? répiquais-je en adoptant son tutoiement.

- Simple curiosité. Tu t'es enfuie? demanda-t-ele les yeux brillants d'excitation. J'y étais et je sais qu'ils ne laissent jamais personne sortir avant la fin de la formation! 

Je me retournais sans répondre et enfonçais mes clés dans la serrure de la porte. J'entrais rageusement dans l'étroite pièce, ne comportant qu'un lit à la propreté douteuse, une table branlante et les restes d'une armoire. Par terre se trouvait un morceau de miroir assez grand pour que je puisse voir mon visage en entier. Et je comprenais que la tenancière ait pu me prendre pour une mendiante: j'avais les cheveux sales et en bataille, le visage tellement couvert de poussière que je paraissais encore plus bronzée que d'habitude. Je sortais dans le couloir pour me rendre dans la salle d'eau commune. Ces salles étaient devenues obligatoires dans les établissements de ce genre il y a peu seulement, et je m'en réjouissais. Le moins que l'on pouvait dire, c'était que la salle d'eau était loin d'être propre. Les cuves d'où l'eau coulait étaient noires de saleté et l'eau devait y stagner depuis pas mal de temps. Je remplissais quand même une petite bassine et entreprenait une toilette sommaire, comprenant mes bras, mon visage et mes pieds. Quand j'eus enfin retrouvé une face humaine, je retournais dans ma chambre pour une sieste bien méritée. A mon réveil, un repas avait été déposé sur la petite table. Au vu de l'aspect, je préférais ne pas y goûter même si mon estomac réclamait désespérément à manger. Je me rendais compte en regardant par la fenêtre crasseuse que la nuit était déjà bien avancée et que le jour ne tarderait pas à se lever. Pour ne pas prendre de retard, il fallait que je parte maintenant. Zéphyr m'attendait sagement dans les écuries. Le contraste entre mon magnifique hongre et les autres montures, pour la plupart vieillissantes et plus adaptées au travail des champs qu'aux longs voyages, était saisissant. Cependant, Zéphyr n'était pas le seul à faire tâche parmi les chevaux: il n'était plus là, mais hier, j'avais aperçu un splendide pur-sang arabe dans le dernier box. La couleur de son pelage ébène me rappelait les yeux de l'inconnue indiscrète de la veille. Peut-être lui appartenait-il? Quoi qu'il en soit, j'enfourchais Zéphyr, et reprenais ma route vers l'ouest cette fois. Devant nous, à une heure d'avance à peu près, on distinguait entre les collines la silhouette d'un cavalier. Il avançait lentement et sa silhouette grandissait à vue d'œil. En une demi-heure, nous n'étions plus qu'à quelques mètres. L'herbe dense des collines étouffait le bruit des sabots de Zéphyr et le cavalier- qui était une cavalière- ne semblait pas s'être rendu compte de notre présence. Je reconnus le pur-sang arabe de la veille. Ce n'est que quand j'arrivais à la hauteur de la cavalière que je me rendais compte que j'avais eu raison sur l'identité du propriétaire: l'inconnue! Dans un réflexe irréfléchi, je ne pus m'empêcher de m'exclamer:

Douze [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant