Chapitre 3

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Le père Francis se levait de son fauteuil et contournait le bureau. Il avait pris la place à côté de moi. Il me regardait et restait ainsi pendant quelques secondes sans rien dire. J'avais l'impression que c'était une éternité.

"J'ai dit à Charles que je vous aiderai et je le ferai. Mais je veux que vous continuiez les consultations que vous avez commencé en France. Je sais que vous aviez un thérapeute avec lequel vous parliez pendant les 4 derniers mois de votre séjour à Charleville Mézière. Charles m'en a parlé."

Voilà, lui aussi voulait que je continue à voir des médecins.

"Personne ne m'a recommandé un bon thérapeute ici. Je n'en connais pas."

Je commençais à avoir très chaud. J'avais l'impression que la température de la salle avait augmenté d'un coup, que les murs se rapprochaient. La climatisation était allumé, il faisait pourtant frais dans la pièce. Mentir faisait toujours cet effet surtout quand on avait pas l'habitude de le faire, comme moi. Il savait que je mentais. Si Charles lui avait parlé, il saurait alors que Charles avait fait toutes les recherches et avait réussi à trouver un thérapeute à Abidjan. C'était un médecin de l'hôpital américain, le docteur Harris Golden. Il parlait français et nous nous connaissions de vue. Les expatriés et hommes d'affaire, ainsi que la haute société d'Abidjan fréquentent tous les mêmes endroits et se fréquentent tous. Charles connaît les "bonnes personnes" comme on dit à Abidjan.

Il n'arraîtait pas de me fixer du regard. Je baissais les yeux et lui répondais:

"Je vais essayer de trouver un bon thérapeute."

"Promettez-le moi." Disait-il en me souriant.

Cette phrase sonnait comme un chantage à mes oreilles. Il ne lâcherait pas tant que je ne lui aurait pas promis.

"Je vous le promets." Disais-je après un silence.

"Bien!" Et il se levait. "Je vous sers quelque chose à boire? De l'eau? Je n'ai pas grand chose à vrai dire."

"Un verre d'eau ira, merci." Je me détendais tout doucement n'ayant plus sa présence à proximité, ni ses yeux qui me fixaient sans cesse.

Il se servait deux verres d'eau et revenait à sa place à côté de moi. Je buvais une gorgée du verre qu'il avait posé devant moi.

"Je suis content que vous soyez venu me parler. Charles se fait beaucoup de soucis pour vous."

"Nous devions venir vous voir tous les deux mais je ne me sentais pas à l'aise de le faire. On en avait parlé plusieurs fois déjà de voir un prête pour nous conseiller. Charles préfères voir un prêtre à cause de nos valeurs. La foi est une des choses qui nous a rapproché."

"J'en suis heureux." Il gardait le silence quelques secondes.

"Vous disiez que Charles vous envoulait. Vous l'a-t-il dit?"

"N... Non... Mais je le sens, je le vois dans son regard, dans son comportement."

Je baissais la tête. Je sentais le poids de son regard. Je recommençais à avoir chaud. Cette fois ce n'était pas le mensonge mais la honte.

"Comment se comporte-t-il avec vous?"

"Il évite mon regard parfois. Notre intimité n'existe plus depuis mon accident. J'étais à l'hôpital c'est vrai mais depuis mon retour, il ne m'a même pas pris la main une seule fois, comme il le faisait avant."

Je marquais une pause.

"Il m'enveut je le sais."

"En avez-vous parlé avec lui?"

"Non."

"Ne pensez-vous pas que c'est votre culpabilité que vous transposez sur lui?"

"On dirait mon médecin en France." Disais-je en étouffant un rire.

Il ne répondait pas. Il souriait à son tour et disait enfin:

"Je pense que nous devrions nous revoir avec Charles. Cela vous permettra de mettre des mots sur tout que vous ne vous dites pas depuis l'accident. Quand est-ce que Charles rentre?"

"Après-demain. Il sera là mercredi."

"Je peux vous recevoir jeudi dans la matinée."

"Je vous le confirmerai lorsque j'aurai discuté avec lui."

"Je ne vous vois pas à la messe le dimanche."

"J'avoue ne pas avoir envi de venir à la messe. Je ne me sens pas prête à voir du monde."

"Vous feriez l'effort de venir dimanche prochain?" Disait-il en souriant.

Je sens encore une fois qu'il essaie de me forcer à faire quelque chose. Je ne devais pas lui envouloir puisque c'est son travail de prêcher et ramener les gens sur la route de l'église.

Je souriais à mon tour.

"Oui, j'y penserai." Et je me levais.

"Je vous remercie de m'avoir reçu. Je vous appelle dès que j'aurai demandé à Charles quel jour lui conviendrait."

"Je vous en prie. Je suis heureux que vous soyez venu me voir." Il me tendait la main.

Il faisait une chaleur humide à l'extérieur. Le chaffeur ouvrait la portière de la voiture et la maintenait ouverte pour me laisser entrer.

"Merci. On rentre à la maison."

Mon téléphone sonnait au moment où la voiture démarrait. C'était un numéro que je ne reconnaissait pas. Je décidais de répondre quand même.

"Allo?"

"Bonjour Hélène." Disait une voix d'homme. "Ça fait un bail. Comment vas-tu?"

"Euh... Excusez-moi, qui est à l'appareil?"

"C'est Paul."

Je cherchais dans ma mémoire qui pouvait être cette personne. Je ne savais pas quoi répondre.

Après quelques secondes de silence, il reprenait:

"Retrouves-moi à l'hôtel Ivoire."

"Je ne comprends pas..."

"Je t'attends. Nous avons des choses à nous dire."

Je reprends ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant