Chapitre 2

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"Je n'en ai encore jamais parlé. Je ne veux pas que les gens me regardent avec pitié."
Je levais mes yeux vers lui. Je ne voulais pas qu'il ait pitié de moi.
"Ne changez pas votre regard quand vous aurez entendu toute cette histoire."
"Je ne le ferai pas. Du moins, je ferai tout pour ne pas changer mon regard sur vous."
Il avait une voix rassurante et calme. Il me regardait toujours avec cette expression de bonheur. C'est moi qui le regardais autrement maintenant. Je le voyais comme un médecin, comme ces nombreux médecins que j'ai vu ces derniers mois. Je le voyais comme un homme qui allait sûrement me juger après que je lui aurais tout raconter.

"L'année dernière, j'étais partie rejoindre quelques amis à Grand Bassam pour passer le weekend en bord de mer. Nous devions nous retrouver à la villa d'une amie. Elle avait invité plusieurs personnes pour fêter ses 40 ans. Charles devait me rejoindre le samedi, j'étais partie le vendredi.
J'étais enceinte à l'époque. J'étais à 6 mois de ma grossesse. Le chauffeur roulait prudemment, surtout par peur de ce que mon mari pourrait lui faire, je pense, s'il m'arrivait quelque chose. Il était 16h de l'après midi. Nous n'étions plus très loin de Grand-Bassam. Nous avions pris la Voie Express de Bassam et nous avions bien entamé l'Autoroute Abidjan-Mossou. Un camion transportant du bois roulait alors à grande vitesse dans l'autre sens. Mon chauffeur gardait sa droite le plus possible mais au moment où le camion arrive à notre niveau, celui-ci perd le contrôle du véhicule. Ça s'est passé très vite. Nous nous sommes retrouvés dans le fossé et la remorque du camion a percuté le côté gauche de la voiture. Notre voiture a fait un tonneau. J'ai perdu connaissance. C'est plus tard que l'on m'a raconté que les piliers de bois transportés par le camion avaient bloqué toute issu ou passage vers notre voiture. Nous sommes restés ainsi plus de huit heures de temps avant qu'ils aient pu nous secourir. C'est à 1:30 du matin que mon chauffeur et moi avons été extirpés de la voiture. C'était un miracle que nous soyons encore vivants. Mon chauffeur est resté à l'hôpital pendant trois mois."

Je marquais une pause et le regardais.
Il ne parlait pas.
Je ne voulais pas continuer. Il le comprenait. Mais j'étais venue pour ça. Il fallait donc que je termine cette histoire. Je n'en avais pas la force...
Il me regardait toujours. Je ne voyais plus ses yeux gris. Je ne voyais que son visage calme. Je remarquais alors ses cheveux grisonants coupés courts, ses joues et son menton bien rasés, son nez fin. Il devait avoir 50 ans et plus. Il devait entendre ce genre d'histoires plus d'une fois. Il devait être blazé de tout ça. Cela ne devait sûrement plus lui faire grand chose d'entendre ce genre d'histoires tragiques.
Penser cela, me redonnait du courage.

"J'ai été transféré d'urgence en France. Charles et sa famille ont pu trouver un moyen pour le faire le plus rapidement possible. Je suis restée deux jours dans le coma. J'étais d'abord à l'hôpital de Reims, ensuite je suis rester huit mois à l'hôpital de rééducation physique de Charleville Mézière. Charles y avait pris un appartement pour être près de moi. Il a arrêté de voyager les quatres premiers mois, ensuite il a dû reprendre son rythme. Du moins, il a recommencé à voyager en écourtant au maximum ses déplacements. Il ne restait jamais plus de 5 jours loin de moi. Il passait tous les weekends avec moi, à l'hôpital. Les infirmières et les médecins le laissaient me rendre visite à n'importe quelle heure. Il leur ramenait toujours quelque chose de ses voyages."

Silence.

"Voilá, je suis là maintenant. Je peux marcher, je suis en bonne santé."
"Vous êtes revenu à Abidjan il y a quelques semaines n'est-ce pas?"
"Oui, je suis restée un mois chez ma mère en Allemagne. Elle était restée avec moi plusieurs mois à Charleville Mézière. Avec Charles nous avons convenu que je rentrerais un peu plus tard vue qu'il avait quelques voyages en perspective pendant le mois qui suivait. Je suis donc restée chez ma mère pour un mois. Je suis rentrée il y a trois semaines. J'ai l'impression que tout a changé."
"Vous êtes suivi par un médecin ici?"
"Non. Je ne connais aucun psychologue ici. Du moins personne ne m'en a recommandé un et j'avoue que je ne veux pas aller en voir."
"Pourquoi? Vous avez subit un évènement traumatisant. Votre corps s'en est remis mais pas votre esprit."
"Je me sens plus à l'aise à en discuter avec vous."
Il marquait une pause. Il baissait les yeux et pris son stylo pour le rouler dans sa main.
"Je suis un conseiller pour l'âme, pour votre conscience. Je peux vous guider vers des solutions. Mais je ne peux guérir l'esprit. Il faut un professionnel pour cela."
"Je ne veux pas que vous guérissez mon esprit, il ne le sera peut-être jamais. Je veux... Nous voudrions mon mari et moi que vous nous conseillez sur les soucis que nous avons entre nous."
"Je ne comprends pas."
"Cet accident nous a peut-être rapproché en apparence mais il y a un énorme faussé entre nous quand nous sommes seuls."

Je marquais une pause encore une fois.

"Nous ne parlons jamais de l'accident et encore moins de... Et ... encore moins de l'enfant que j'ai perdu. Je m'enveux... Charles m'enveux d'avoir perdu cet enfant. C'est moi qui ait insisté pour aller à cette fête. Il ne pensait pas que c'était une bonne idée que je voyage dans mon état."

Je n'avais pas remarqué que mes larmes coulaient sur mes joues. Il prennait un mouchoir sur son bureau. On aurait dit qu'ils étaient posés là que pour sécher les larmes des visiteurs du père Francis.
J'essuyais mes larmes et inspira profondément.

"Aidez-nous, s'il vous plaît."

Je reprends ma vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant