Warren Kisuke

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Tout a commencé lors de ma sixième année d'existence. J'étais encre petit, et je n'avais pas conscience de la vie, de tout ce qui m'entourait... Tout cela. Ma seule préoccupation était de jouer. Et encore jouer. Je ne m'en lassais jamais. Jamais. Je ne faisais que ça, prenant très rarement des pauses. J'avais énormément d'imagination, d'énergie et il fallait que je les extériorise. Que ce soit n'importe où, n'importe quand, je trouvais quelque chose à faire pour m'amuser. Et ce pouvait être d'anodines choses. Mais j'étais d'une simplicité pure, cela me suffisait amplement pour rire. Certains trouvaient ma capacité à jouer en toutes circonstances impressionnante, d'autres en étaient ravis pour moi, un dernier groupe trouvait ça sans intérêt. Comme mon père. Très riche businessman. Et de ce fait, toujours en voyage en affaires. Je ne le voyais que rarement. Et lorsque l'on était ensemble, rien ne changeait, il aurait tout aussi pu ne pas être là, rien n'aurait changé. A la différence près que personne ne me disait, à chaque fois qu'il me voyait jouer :

- Secoue-toi un peu... Tu n'as donc aucune ambition ?

Ambition. J'ignorais totalement sa définition, et à vrai dire, je m'en fichais complètement. J'étais tellement insouciant. Puis, mon père repartait, et la vie reprenait. Pendant qu'il voyageait, je restais avec ma mère. Elle était très protectrice, mais je me demandais si c'était pas plus mal. Parce qu'il m'arrivait de jouer à des jeux un peu dangereux. Je n'étais encore qu'un enfant, et j'ignorais ce qui pouvait me blesser, ou pas. Sans elle, peut-être serais-je paraplégique ou mort, à l'heure qu'il est.
Un jour que mon père rentrait de voyage, je lui demandai ce qu'était son métier. Il me répondit ces mots :

- Lorsque tu auras choisi un véritable mode de vie, et qui te plaira, je te répondrai.

En d'autres termes, lorsque tu arrêteras définitivement de jouer.
Cette phrase fut enregistrée à jamais par ma mémoire. Jusque aujourd'hui, je m'en souviens. Et je ne suis pas près de l'oublier. Elle a une place d'honneur dans mon esprit.

~ Six ans plus tard ~

J'avais douze ans, ce qui est déjà un peu plus récent. J'avais pris conscience de beaucoup de choses, avec l'âge, évidemment. J'avais des problèmes d'ado, tout cela est normal. Je voyais toujours mon père, mais de moins en moins de mots s'échangent, ayant pris conscience également de ce vide qui nous séparait. Ma mère aussi était toujours là, à veiller sur moi. J'avais aussi un meilleur ami. Il s'appelait Nat. Ce qui nous liait ? Jouer. J'ai continué à jouer six ans. Certes, au fil des années, le genre de jeux a changé, mais je vivais toujours par le jeu. Nat et moi étions pareils. Il avait pris la deuxième manette de m vie. Nous faisions tout et n'importe quoi ensemble. A l'école, nous étions appréciés. J'étais aussi amoureux d'une fille. Elle s'appelait Marianne. J'ai souvent cherché à attirer son regard, mais je n'ai jamais su comment faire. J'étais très timide, du moins avec elle. Bref, c'était une vie d'adolescent parfaitement normale. Jusqu'au milieu de cette année scolaire. Un voyage était organisé par le professeur de ma classe. La majorité des élèves s'y sont inscrits, dont Nat et Marianne, mais certains, et j'entre dans ce groupe, n'ont pas pu, ou n'ont pas voulu, ou encore ont été punis. Je suis dans le dernier cas, suite à une bêtise avec Nat où je l'ai laissé fuir pour que ce soit moi qu'on me trouve à sa place. Le jour de la sortie était aussi le jour où mon père devait rentrer d'un voyage d'affaires.
Ce fut le jour J. Nat et Marianne partirent. Ceux qui devaient rester à l'école restèrent et eurent cours normalement. Le soir même, lorsque je rentrai, j'entendis des sanglots. J'entrai et je constatai ma mère qui pleurait à chaudes
larmes.

- Maman ? Qu'est-ce qui se passe ?!

Elle hoqueta, essayant d'arrêter, et me dit entre deux sanglots :

- Ton père... Il est mort. Il a eu un accident de voiture sur la route d'ici.

Et elle reprit ses sanglots de plus belle. Lentement, je me retournai pour aller dans ma chambre, mais je fus interrompu par la voix de ma mère :

- Ce n'est pas tout... Ils disent que son taxi a percuté un car scolaire. Ils ont
identifié qu'il s'agissait d'élèves de ton collège...

Je me retournai si vite que j'entendis un claquement au cou.

- De mon collège ?

Ne pouvant parler de vive voix, elle fit un signe de la tête, signifiant le pire. C'en était trop. Je courus jusque ma chambre et me jetai sur mon lit. Puis, je pris ma tête entre mes mains. Qu'est-ce que ça voulait dire... Rien ne remuait en rien. Rien. J'ai souvent pleuré pour d'anodines choses. Et pourtant... C'est comme si leur mort ne m'affectait pas. Non, c'est impossible... Il était mon meilleur ami, elle était mon amoureuse, il était certes l'être le plus distant que j'ai jamais connu mais il était mon père ! Non, toujours rien. Une coquille vide. C'était un jour parfaitement normal. Un humain avait simplement provoqué la mort d'autres. Comme tous les jours. Pourquoi devrais-je pleurer ? Pour exprimer mes sentiments ? Où ça, des sentiments ? Non, mes sentiments n'existent pas. Mon cœur ne vient pas de se fermer à l'humanité. Il ne s'est jamais ouvert, en réalité. Je vivais bercé d'illusions. C'est terminé. A présent, c'est moi qui illusionne. Oui, papa, je vais t'écouter. Je vais choisir un mode de vie qui me plaît. Le jeu au niveau supérieur. Je vais jouer avec les sentiments humains.

- Feels are just words...


10 décembre 2012.

Vieux parcheminsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant