1- Superman

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Ce jour là, comme tous les matins où j'avais cours, je me préparais à la vitesse supersonique de l'éclair puisque comme tous les matins, je m'étais réveillée en retard. Je vous épargnerai les détails de mon petit déjeuner ou de mon lavage de dents car je vais prétendre que comme la plupart des héroïnes de livres ou films je n'ai pas besoin de faire mes déjections, je n'ai pas mes règles et je me doucherai ou me brosserai les dents maximum deux fois dans le livre.
(Sérieusement vous ne vous êtes jamais demandé comment ils se débrouillent dans les Hunger Games par exemple?
Je vais vous aider.
Imaginez une clairière, en début de matinée.
Vous entendez le doux coup de canon signifiant qu'une autre âme innocente est partie rejoindre ses ancêtres pour jouer au golf dans les nuages.
Vous êtes soudain en pleine course contre des concurrents et des espèces génétiquement modifiées lorsque...
Oh Oh.
Vous avez votre période.
Et si vous êtes un garçon (je ne vous ai pas oubliés), vous avez une envie pressante , si vous voyez ce que je veux dire.
Que faites-vous?
a) Vous criez aux autres participants: pouce!
Et vous partez faire caca dans des fougères.
b) Vous attendez d'être en sécurité en haut d'un arbre et vous faites vos déjections sur vos adversaires tel un gracieux pigeon.
c) Vous faites dans votre seule paire de culotte et votre fierté qui vous lâche cruellement cause votre funeste mort.

Donc pour revenir à nos moutons: je vous épargnerai au maximum des scènes de ce genre.
Tout le monde en profitera, croyez-moi.

* * *

Après une journée de cours mortellement ennuyeux, j'attends impatiemment le bus à l'arrêt Charles-Richmont.
Comme d'habitude il met une éternité à venir (c'est à se demander ce que font les conducteurs de bus entre chaque arrêt) et quand il est enfin arrivé j'ai presque envie de faire la danse de la joie mais j'abandonne tristement cette idée parce que ma conscience me rappelle désagréablement que ça ne ferait que me faire descendre un peu plus dans l'échelle sociale. Ma place actuelle équivaut à peu près au 2.
Sur 100.
Ce qui n'est pas trop mal si on considère que j'ai remonté de mes -10 lorsque je m'étais vomi dessus quand j'avais sept ans.
Je regarde autour de moi et reconnais quelques habitués du bus 23: ce vieux monsieur avec son chien qui aboie sur tout ce qui bouge, ces messieurs en costard captivés par l'édition quotidienne de "Le Monde", des gens de mon lycée... et puis il y avait lui.
Là-bad au fond.
Le grand brun aux yeux verts. Il fréquente des gens pas très fréquentables et il fume mais il a quelque chose qui m'attire.
Ok, c'est pitoyable.
Pour ma défense il a ce petit côté mystérieux qui me fait fondre comme du beurre au soleil.
* se félicite intérieurement et envisage d'écrire un recueil de ses plus belles citations et comparaisons poétiques*
Ça fait depuis le début de l'année que je le vois à chaque fois que je monte dans le bus.
Et comme à chaque fois je recule à l'arrière du bus sans jamais oser lui adresser la parole.
Je sais, je suis une poule mouillée.
Et je l'assume.

Comme ma meilleure amie Madison rentre à pied, une fois de plus je me retrouve seule. Je me met dans un coin au fond et enfonce mes écouteurs dans mes oreilles. J'écoute "Water" de Jack Garratt en rêvassant paresseusement quand je vois deux camions de pompiers foncer directement dans le bus. À ce stade là j'ai sûrement sorti un regard de biche apeurée digne d'une nomination aux oscars mais je retrouve le peu de calme que je possédais et veut crier au conducteur de s'arrêter et de se montrer digne d'un conducteur de Fast and Furious, de se bouger le cul mais je ne fais rien, comme pétrifiée.
Je suppose que mon stupide cerveau met ça sur le compte d'hallucinations dues à un excès de café mais je n'arrive pas à... réaliser ce qui est entrain d'arriver.
Un choc violent ébranle le bus et je suis projetée à l'arrière. Je m'apprête à sortir une comparaison poétique quand ma tête heurte le sol.
Et puis plus rien.
Le vide total.

* * *

Je sens un liquide chaud et poisseux dégouliner le long de ma tête, j'ai mal partout et j'ai toutes les peines du monde à garder les yeux ouverts.
Toutes mes neurones semblent s'être éteintes.
Je n'arrive plus à réfléchir. J'observe simplement la scène du drame se dérouler devant mes yeux.
Je dévie mon regard vers le milieu du bus qui semble s'être enflammé.
Le sifflement désagréable qui persiste à mes oreilles diminue peu à peu et j'entends le piétinement des gens qui se précipitent maladroitement hors du bus sans m'adresser le moindre regard.
L'égoïsme humain on en reparle?
J'ai l'impression de vivre un rêve éveillée: je suis là par terre mais je vois la scène se dérouler devant mes yeux sans rien pouvoir faire.
La j'ai juste envie de dormir. Je m'apprête à fermer les yeux lorsque j'entends un craquement sinistre au dessus de moi. La chaleur du feu se propage jusqu'à moi et mon instinct de survie prend le dessus.
J'essaie de me redresser mais le bourdonnement désagréables de mes oreilles reprend de plus belle et je sens mon cœur battre à mes tempes.
Je ferme les yeux, épuisée, quand deux bras puissant me soulèvent.
J'ai envie de me débattre et de me recoucher par terre: on ne peut donc pas mourir en paix bon sang?!
J'entrouvre les yeux pour voir qui m'a lâchement kidnappée mais je vois flou. C'est à peine si je distingue des cheveux bruns.
Au moment de franchir les portes le bus vacille dangereusement.
Je retiens ma respiration.
J'ai dû respirer trop fort.
Puis brusquement le bus se renverse sur le côté.
Il était déjà un peu en équilibre après le choc mais d'après mes analyses hautement scientifiques je pense que le feu a dû grignoter quelques câbles ce qui a achevé le boulot.
Peu à peu le toit s'effrite et il se met à pleuvoir des morceaux de toits et de bus en tous genres.
Charmant.
L'inconnu se met juste au dessus de moi pour me protéger.
Attendez... me protéger?!
Là si je n'étais pas aussi sonnée j'aurais eu deux réactions.
La première, de me lever et de crier aux lâches passagers du bus qui m'ont vulgairement écrasés les doigts en me regardant mourir de leurs yeux globuleux: "PRENEZ EN DE LA GRAINE BANDE DE LÂCHES!"
Ma deuxième réaction aurait été de me marier avec mon sauveur.
Qui sait, c'est peut être Superman?
Après tout peut-être que moi aussi je vais avoir droit à une histoire palpitante adaptée au grand écran.
La réalité resurgit brusquement avec une vague de chaleur.
L'air devient rapidement suffocant et j'ai la gorge en feu. J'essaie de dormir pour faire passer le temps mais les débris qui tombent constamment m'en empêchent. Je grogne de mécontentement et ordonne par télépathie à mon pseudo- sauveur de se bouger un peu les fesses si il ne veut pas qu'on meurent les deux grillés comme des poulets.

Apparemment je suis plutôt douée en transmission de pensées parce que, quelques secondes plus tard, il se relève tant bien que mal et me traîne jusqu'à la sortie.
Une fois dehors il reprend sa respiration, me prend dans ses bras et me porte quelques mètres plus loin à l'abris de la foule.
Il me dépose dans l'herbe à côté de la route se met à me parler tout en me caressant les cheveux.
Je ne comprends pas un traître mot de ce qu'il dit mais son timbre de voix à la fois grave et chaleureux m'aide à rester éveillée.
Remarque, il pourrait me parler de sa Tata Gertrude et de ses 14 chats que je ne remarquerai rien.
Mais je ne m'en plains pas.
En fait à cet instant sa voix, lui, est la seule chose qui me retient dans ce monde.
C'est comme une promesse.
Comme un souffle dans le vent qui me murmurerait: Reste et tu pourras continuer à l'écouter, à sentir ses caresse dans tes cheveux et son souffle près de toi.
Vous trouvez que ça fait cliché, hein?
Eh bien, vous êtes juste jaloux parce qu'il m'a sauvé, qu'on va se marier et qu'on aura quatre enfants qui s'appelleront June, Hope, Summer et Ocean.
Bien fait pour vous.
Bon, je vais essayer de me calmer parce que je crois vraiment que je suis en train de devenir complètement folle.
Et bien sûr en petit bonus mon corps m'élance de partout et j'ai l'agréable impression qu'un troupeau d'éléphant m'a piétiné avec un troupeau d'éléphants sur leurs dos qui portaient eux-mêmes un autre troupeau d'éléphants!
Je suis exaspérée.
Et très désespérée
Parce que j'attends
Impatiemment
Une ambulance
Qui me portera chance.

*sautille intérieurement de joie devant tant de talent*
Ok au moins je n'ai pas perdu mon talent de poète.

1001 façons de se ridiculiser #FreeYourBodyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant