3- Presque comme avant

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Les jours passent et je n'arrive toujours pas à me réveiller, j'entend juste des voix plus ou moins familières qui me parlent, pleurent...
Je suis désespérée et je veux juste sortir d'ici et me nourrir d'autre chose que de cette infâme bouillie qui m'est injectée par perfusion.

Mais, régulièrement mon sauveur vient me rendre visite.
Il s'assied sur le rebord de mon lit, me prend la main et me parle.
Et, entre nous, bien que je ne comprends toujours pas tout ce que l'on me dit (voir rien) je le soupçonne fortement de me faire des déclarations d'amours enflammées et de programmer notre vie future.

* * *
Madison vient aussi me rendre visite souvent.
Entendre les voix des personnes que j'aime me rassure énormément et fais remonter des Souvenirs.
Au début je ne comprenais strictement rien à ce que l'on me disait et j'avais du mal à différencier les voix mais avec le temps je comprends de plus en plus ce que l'on me dit et qui me parle.
Je pense souvent aux personnes que j'aime et honnêtement je crois que j'ai compris une chose: j'ai une grande carrière de poète devant moi, j'ai plein de choses à accomplir, j'ai une tablette de chocolat dans le tiroir de la cuisine à finir et un homme à marier (mon sauveur).
Et c'est en pensant à eux qu'un matin, je me réveille en baillant, comme si c'était la chose la plus normale sur terre.
Bon remarque c'est l'une des choses les plus naturelles sur terre mais...
Un éclair de lumière blanche.
Vite, je referme les yeux en grognant.
Il y a trop de soleil, je râle la voix enrouée.
Aussitôt des tas d'appareils se mettent à clignoter et à émettre des "bip" sonores.
Merci beaucoup, il n'y a pas réveil plus charmant, je pense ironiquement.
L'infirmière qui veillait à côté de moi donne l'alerte:
pleins de docteurs et d'infirmières se précipitent pour prendre mon pouls , reprogrammer des appareils, appeler ma famille, juger de mon état et j'en passe.
Hébétée, je contemple mes doigts dans la lumière du jour.
Je les plie et les déplient doucement.
J'ai encore du mal à parler, à bouger et je suis toujours aussi faible qu'un gros marshmallow mais je m'en fiche, j'ai réussi à me sortir de ce stupide coma qui a d'ailleurs duré deux bonnes semaines.
Ça fait une petite hibernation.

* * *

Une semaine plus tard je peux rentrer à la maison mais j'ai quand même des rendez-vous trois fois par semaine chez le physiothérapeute.
Puisque mon estomac n'a pas reçu de vraie nourriture depuis 18 jours je me nourris principalement de bouillies pour bébé mais je ne me plains pas: je ne l'avouerais jamais à personne mais c'est super bon. Ma préférée est un délicat mélange de biscottes écrasées avec de la pomme et de la banane.

Au niveau physique mon corps se réveille peu à peu mais comme je n'ai jamais été très sportive ce n'est pas une catastrophe si je suis dispensée de sport lorsque je retournerai à l'école.
Je suis sûre que vous vous posez des questions sur mon sauveur.
Eh bien moi aussi.
Depuis que je suis sortie du coma je n'ai eu aucune nouvelle.
L'hôpital a juste pu me donner son nom: Josh Christensen.
Mais je ne suis pas obsédée non plus je ne vais pas le chercher dans le bottin téléphonique!
...
C'est bon j'avoue que j'ai peut-être, éventuellement recherché son numéro.
Mais je me suis arrêtée là.
Je regarde les chiffres notés à la hâte sur ma main. Je n'ai aucun autre moyen de le retrouver puisque je ne sais pas à quoi il ressemble. Je me souviens vaguement de cheveux bruns et d'une carrure plutôt musclée.
Qu'est ce que je peux faire avec ça... Un avis de recherche?

Bonjour jeune fille cherche désespérément humain aux cheveux bruns qui répond au nom de Josh.
Merci d'appeler au 079 567 14 56

C'est assez pitoyable si vous voulez mon avis.
Mais je n'ose pas l'appeler.
Et si il ne se souvenait pas de moi?
Et si il m'avait sauvé uniquement pour avoir un bon karma?
Et si il était en vérité un gros chauffeur de taxi dans la soixantaine avec une barbe regorgeant de restes de nourriture qui fume la pipe?
Et si... Et si...
Je n'en peux plus, j'ai déjà imaginé une centaine de scénario et je commence sérieusement à manquer d'inspiration.
Je m'endors difficilement et m'efforce de me concentrer sur quelque chose de joyeux...
c'est mon anniversaire dans un mois...
et ta reprise de cours la journée d'après me rappelle une petite voix désagréable dans ma tête. Grmbl.

* * *

Je remercie les invités et part dans ma chambre en prétextant un mal de tête.
Les médecins ont confirmés ce que je redoutais: je suis prête à recommencer l'école demain.
Cependant je vais devoir y aller en vélo puisque après l'accident mes parents m'ont formellement interdit de reprendre un bus.
Avec mon sens de l'orientation aiguisé (veuillez noter l'ironie) je vais encore me perdre dans la forêt et mourir seule et sans amis.

* * *

Driiiiiing! Driiiiiiiiiiiiing!
Mon réveil sonne totalement hystérique jusqu'à ce que je daigne me lever et l'éteindre.
J'envisage de prétexter une maladie incurable mais je finis quand même par faire mon sac, déjeuner, faire un séjour de seulement quarante minutes à la salle de bain (mon record de rapidité personnel jusqu'à maintenant) et trouver une tenue adéquate pour ce jour de printemps ensoleillé.
Non je rigole.
On est pas dans un compte de fées.
Il pleut des cordes.
Il fait froid.
Je sens la maladie imaginaire monter en moi.

- Alyssaaaaa!
Dépêche-toi tu vas être en retard! me crie ma mère depuis l'autre bout de l'appartement.

- Grmblh.

Je rassemble mes forces prend mon anorak vert caca d'oie et mes bottines en cuir brun qui tiennent plus ou moins l'eau et sort chercher mon vélo dans le garage.

* * *

Il pleut.
Il fait froid.
Je suis trempée.
J'ai froooid.
Je ne vois même pas où je vais.
Je vais me perdre.
Et mourir seule au fond d'un fossé.

Je pédale rageusement jusqu'à mon lycée et cherche désespérément mon cadenas dans mon sac.
Oh non.
Il ne manquait plus que ça.
J'enlève ma capuche qui m'empêche de voir correctement au risque d'attraper une pneumonie et reprend mes recherches dans mon sac.
Rien. Nada. Niente.

- Tu es enfin revenue, murmure une voix grave familière.

1001 façons de se ridiculiser #FreeYourBodyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant