L'inconnu

Chapitre 1

« Si vous pouviez choisir d'être n'importe qui, choisiriez-vous d'être vous-même ? »

Elle avait lu ces lignes dans le livre Habibi de Shihab Nye en cours de littérature. Ce matin-là, Emma était épuisée mais ne pouvait cesser de se poser cette question. Choisirait-elle d'être elle-même si, par quelque miracle, elle avait le choix ? Elle s'en pinça les lèvres, encore allongée dans son lit douillet. Les cheveux en bataille.

C'était une jeune fille âgée de dix-sept ans. Sa taille était celle d'une guêpe. La seule différence était ces courbes généreuses. Sa peau était quelque peu bronzée, allant à merveille avec ses cheveux virant au blond vénitien. Ce qui restait le plus charmant en elle était son sourire. Il laissait apparaître des dents limées, mais aussi, des lèvres pulpeuses de la couleur d'un rubis.

Une pochette enveloppait ses yeux noisette et une pâleur colorait ses joues habituellement roses. Malgré cela elle se leva, lâchant un très long soupir. Elle s'était levée très tôt ce Samedi-là. Elle n'aurait sûrement pas réussi sans son alarme dynamique, elle mettait des musiques très fortes pour se réveiller dès le premier coup. Elle vit son reflet dans le miroir. La chemise de nuit qu'elle portait venait tout droit de Calvin Klein ainsi que son peignoir et ses pantoufles. La semaine ayant été rude, elle ne s'attarda pas sur son pyjama. Le stress l'avait exténuée, elle ne cessait de répéter le thème de son audition pour intégrer Julliard. Et puis, il y avait également le dégoût qu'elle ressentait envers ses parents. Il leur suffisait de noter une généreuse somme sur un chéquier et la beauté de sa performance aurait disparu. Fini le rêve, la révolte, le passe-temps...

Premier flash-back

24 Décembre 2004 :

C'était la veille de noël, il tomba des tonnes de flocons de neiges dans la ville qui ne dort jamais et Emma les regardait avec émerveillement à l'intérieur d'une limousine.

- Cette ville prend très au sérieux les festivités, fit le chauffeur.

- Oui, c'est d'ailleurs la raison pour laquelle on m'y emmène...

Le chauffeur eut pitié du regard triste de la petite fille, elle n'avait que neuf ans. A cet âge-là, on rêvait de la magie de noël, décorait le sapin en famille, mangeait les chocolats du calendrier en cachette et espionnait les cadeaux. Emma ne vécut jamais ce genre de nuit inoubliable en face d'une cheminée, elle se contentait d'en rêver. Ses parents, étant bien trop occupés au travail, pensaient à autre chose. Même quand ils célébraient cette fête ensemble, cela n'avait rien avoir avec ce que l'on montrait à la télévision.

- Allons... Dit le chauffeur en s'attardant, vous savez bien que Monsieur et Madame feraient n'importe quoi pour être à vos côtés. Ils ont trop de travail, c'est tout.

- Je le sais.

Vu qu'elle n'allait pas passer cette nuit comme le restant des américains, ses parents l'avaient laissé avec son chauffeur. « Emmenez-la au Victorian Gardens à Central Park pour qu'elle s'amuse et achetez-lui ce dont elle a envie. » ordonna sa maman avant de la quitter. Emma se demandait ce que penseraient ses parents s'ils savaient ce dont elle avait envie. « Ils n'en auraient surement rien à faire... » Pensa-t-elle soudainement car elle ne souhaitait qu'une seule chose, vivre différemment.

Ils se dirigeaient vers Cental Park lorsqu'elle vit une boutique avec une grande pancarte à la porte.

Passez Noël en compagnie de votre musique,

ouvert jusqu'à minuit.

Elle fut intriguée par cette pancarte. Peut-être me sentirai-je moins seule grâce à cette musique, pensa-t-elle, ignorant que cette pensée allait révolutionner son existence.

Patrick, son chauffeur, arrêta la voiture après l'avoir entendue le demander. Ils entrèrent tous les deux à l'intérieur et entendirent une très belle musique. Ce n'était pas Jingle Bell Rock comme Emma se l'était imaginée. C'était bien plus doux, d'une harmonie spéciale... On n'entendait pas cela à la radio. Emma s'envola à la douceur des notes de cette musique qui lui semblait être ce que sa mère appelait « musique classique ».

Pas de publicité mensongère ! Finit-elle par penser !

- C'est La Prélude de Bach, Rostropovitch, un violoncelliste américain. Je ne sais pourquoi, mais il arrive toujours à nous sauver de la réalité où nous vivons.

Emma ouvrit les yeux et le regarda, ne sachant pas trop quoi répondre. Cette petite fille de neuf ans trouva un trésor, une sorcellerie... La musique. La mélodie la guidait et la libérait.

- C'est tellement beau... Répondit-elle brusquement avant de détourner son regard.

Ce qu'elle vit en face d'elle l'intrigua. Elle l'avait déjà vu à l'opéra avec ses parents en une soirée de juin 2003 mais n'en fut pas à ce point intéressée. En revanche, ce soir-là, le père noël avait bien fait les choses.

Elle se dirigea vers l'instrument et le regarda avec tendresse tout en le caressant comme si c'était un nouveau-né. Ses doigts faisant un va et vient harmonieux des cordes au bois. Le jeune garçon lui sourit et s'en alla.

« Patrick, je le veux. Prends le moi, s'il te plaît. »

Et c'est comme ça que l'aventure commença, elle enchaîna les cours de solfège puis ceux de violoncelle. La fillette était déterminée à faire comme ce Rostropovitch, celui-ci réussissait toujours à l'impressionner en pleins moments de colère, de solitude, de tristesse ou d'insomnie. A chaque fois qu'elle jouait du violoncelle, la force faisant bondir sa poitrine la rendait bien plus vivante. Elle trouvait dans les notes la joie qu'elle ne réussissait pas à trouver en elle-même. C'était devenu une vraie addiction, ses doigts bougeaient à la vitesse de la lumière.