28 - Le refus

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Note : je suis désolée d'avoir tardé, mais entre l'écriture du mémoire et des soucis divers et variés, j'étais en mode "page blanche" même si je sais exactement comment terminer l'histoire. Je ne suis pas entièrement satisfaite, mais ce sera amélioré pour la version finale du texte (par version finale, j'entends un gros travail pour que le tout soit plus cohérent et mieux écrit).


Le soleil déclinait à l'horizon, et sa chute emportait dans son sillage les dernières illusions de Lycaon. Contemplant les toits de la cité, il se demanda s'il avait effectué le bon choix ou si, malgré son savoir, il avait échoué à envisager toutes les possibilités. Avec un soupir, il se tourna vers la rivière qui serpentait en contrebas de la falaise. Il était trop tard pour revenir en arrière et trop tard pour douter. L'avenir des siens ne serait bientôt plus entre ses mains.

Il avait su que son passé le rattraperait un jour dès l'instant où il avait pactisé avec le vampire. Il avait appris comment exorciser les spectres et avait reçu le sortilège à même de le délivrer de l'emprise de celui qui ne méritait pas le nom de père.

Le sorcier était haï de ses propres enfants. Il les considérait comme des esclaves à sacrifier sur l'autel de son ambition, mais les mortels sous ses ordres le chérissaient, car ils voyaient en lui un dieu païen capable d'assurer tout à la fois les bonnes récoltes et leur protection face à ceux qui méprisaient leurs croyances et qui voulaient les convertir par le fer et le feu faute d'y arriver par le verbe. Les femmes se donnaient à lui pour obtenir l'honneur de porter sa progéniture guerrière, ses vargulfr ou ulfheðnar que les seigneurs voisins du royaume craignaient tant, et on lui sacrifiait ceux et celles qui avaient le malheur de finir prisonniers après une bataille.

Lycaon, comme ses frères et sœurs, avait tué pour le sorcier, mais jamais de son plein gré. Grâce à ses sortilèges, leur créateur exerçait un contrôle parfait sur leurs esprits. Celui qui ne voulait pas obéir y était forcé. Chaque fois qu'il s'était baigné dans le sang des soldats, chaque fois qu'il avait souillé l'honneur d'un ennemi en l'avilissant, chaque fois qu'il avait déchiqueté un homme demandant grâce sous les yeux horrifiés de ses compagnons, cela avait été contre sa propre volonté. Et quand le mage jugeait que ceux qui revenaient blessés des raids ne méritaient pas l'effort d'être soignés, il attendait leurs fins et enchaînait leurs âmes à lui pour l'éternité, tout comme il arrachait celles de ses victimes mortelles pour agrandir sa cohorte de spectres. Toutefois, ses pratiques malsaines ne s'arrêtaient pas là. Si tel en avait été le cas, il n'aurait pas été pire que maints seigneurs qui avaient gorgé la terre des fruits de leur barbarie.

La mort fascinait le sorcier autant que sa propre apparence pouvait l'obséder. Il entretenait une collection d'un goût particulier dans laquelle échouaient les corps de ceux et celles qui lui plaisaient. Avec les décennies, il était passé maître dans l'art de la conservation des chairs. Pour autant, il ne s'agissait pas d'une simple obsession morbide : la vieillesse et la décomposition l'horrifiaient. Sans doute n'avait-il jamais eu pour pire cauchemar que la perspective de sa propre fin. Combien de fois Lycaon ne l'avait-il pas surpris à s'examiner pour vérifier que le temps n'avait toujours imposé aucune marque sur sa peau ? Combien de fois n'avait-il pas réclamé de ses disciples qu'ils le rassurent sur sa jeunesse et sa beauté éternelle ? Figer autrui ad vitam æternam était une autre façon de démontrer son emprise sur la mort.

La nuit où Lycaon avait arraché la gorge, dévoré les entrailles et démembré le corps de Freyr Skjalgsson, il s'était réjoui à la perspective de la double punition qu'il infligeait à son géniteur : celle de la trahison et celle de lui faire subir la finitude qu'il craignait tant. Cependant, il n'avait pas cherché à se rassurer par des mensonges : l'un de ses nombreux adeptes le retrouverait.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant