9 - La tentation

2.9K 345 9
                                    

Insensible aux cris et aux grognements qui s'élevaient juste à côté de lui, Lugan resta un instant étendu dans la neige pour reprendre ses esprits. Lorsque le silence rétablit son empire sur la forêt, il se redressa lentement sur son séant. Le côté gauche de sa mâchoire l'élançait, l'arrière de son crâne le faisait souffrir, ses côtes avaient connu de meilleurs jours, mais il était toujours vivant, contre toute attente.

Son regard se porta brièvement sur le cadavre de Guilhem, dont la gorge grand ouverte libérait encore des filets de sang qui assombrissaient la neige. Le loup, couché juste à côté, enfouissait son museau entre ses pattes d'un air presque piteux, comme s'il cherchait à cacher sa fourrure rougie.

Lugan extirpa l'épée de Guilhem de son fourreau sans quitter du regard la créature diabolique. Si elle lui avait sauvé la vie – jusque-là –, il n'en éprouvait pas moins une intense méfiance que sa faiblesse momentanée n'atténuait guère. Le loup coucha ses oreilles en arrière sans pour autant faire mine de l'attaquer. Ce comportement laissa Lugan perplexe, qui ne baissa pas pour autant son épée, par crainte d'une ruse. D'un autre côté, il n'était pas en état de se battre et aurait volontiers accepté une trêve.

— Cassian... ? murmura-t-il.

La bête redressa ses oreilles et lâcha un bref jappement.

Indécis, Lugan fronça les sourcils. Au bout de quelques longues secondes, il finit par poser l'épée. Si Cassian avait voulu sa mort, il aurait profité de son sommeil lorsqu'ils s'étaient abrités dans la masure. Ou, mieux, il l'aurait laissé mourir de froid. Le louvat venait de le sauver : pour la seconde fois, ce qui le contrariait d'autant plus qu'il se refusait à ressentir une quelconque forme de reconnaissance.

Le sang continuait de goutter de son menton. Il porta les doigts à la plaie et grimaça quand le simple contact de sa peau sur la blessure lui brûla. Il en garderait une cicatrice – une autre – à n'en pas douter. Son attention revint sur Cassian lorsque celui-ci se dressa sur ses pattes. Sa main se posa à nouveau sur la garde l'épée, mais la curiosité laissa rapidement la place à la défiance.

Cassian respirait lourdement, haletait presque. Il poussa un grondement du fond de sa gorge, et son poil se hérissa sur son dos.

Surpris, Lugan bondit sur ses jambes – un peu trop vite, sa tête lui tourna aussitôt et il retomba à genoux. Croyant que la bête s'apprêtait à l'attaquer, il pointa l'épée devant lui. Mais Cassian ne lui prêtait aucune attention. Ses membres furent pris de tremblements, puis son épaisse fourrure ondula. Lugan comprit alors : le loup-garou essayait de retrouver son enveloppe humaine ! Une odeur ferreuse et putride s'éleva. Des craquements témoignaient de la réorganisation de ses os à l'intérieur de son corps. Lugan grimaça et porta une main sur son nez quand la puanteur se fit plus forte. Avec un horrible bruit, la fourrure se déchira le long du dos du loup. Elle se désagrégea en une étrange masse sanguinolente de laquelle émergea Cassian, entièrement nu et couvert d'un liquide rougeâtre rappelant celui qui recouvrait les enfants à leur naissance. La dépouille, elle, fumait légèrement et achevait de se dissoudre.

Lugan n'avait jamais vu un loup-garou se métamorphoser et il aurait préféré que la chose restât un mystère à ses yeux, tant il était dégoûté par le spectacle. Puis, il remarqua que Lugan, agenouillé dans la neige, tremblait toujours. Ses lèvres avaient blanchi. Ses membres tressaillaient. Pourtant, comme tétanisé, il n'esquissait aucun geste pour se vêtir et s'abriter du froid.

— Je l'ai tué, murmura-t-il avant de se paralyser à nouveau.

Sans réfléchir, Lugan arracha le manteau de fourrure de Guilhem et le déposa sur les épaules du louvat. Puis il lui tapota les joues pour essayer de le ranimer. Ses cheveux roux, poisseux, étaient collés le long de son visage. Malgré la fine pellicule de sang qui fonçait la peau de Cassian, il aperçut des taches de rousseur éparse. Alors qu'il l'obligeait à glisser les bras dans les manches, son regard erra bien malgré lui sur sa bouche entrouverte, son torse frissonnant de froid, sur son ventre à peine ombré par une légère pilosité, sur ses muscles fins.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant