29 - Le pacte (1)

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 Le flot des âmes errantes se déversa autour d'eux. Bien que la présence maléfique hérissait leur peau, chacun resta immobile alors que les damnés chuchotaient à leur oreille tout en éprouvant la puissance de leurs auras. Mirelha agrippa la main de Cassian au souvenir des soldats qui s'étaient entre-tués sous l'influence des fantômes. Enide ferma les yeux comme si ce simple geste suffirait à la préserver. Ambroise résista, non sans difficulté, à son désir de fuir et d'oublier dans les vapeurs hypnotiques de l'alcool.

— Où es-tu ? tonna Lycaon.

Les spectres, imperturbables, continuèrent leur danse en gloussant. Mais l'un d'eux, ombre informe, se sépara des siens. Il tourbillonna autour de l'alpha avant que sa silhouette évanescente ne revêtît des contours plus humanoïdes. Lycaon détournant le visage pour l'ignorer avec mépris, la créature tendit ses mains griffues pour lui effleurer les joues afin d'attirer son attention.

— Vous êtes nombreux, siffla-t-il.

L'alpha s'agaça de la froide caresse sur sa peau. Non seulement le sorcier ne se montrait pas, mais en plus il lui infligeait la présence de ses sbires. Avec un rictus mauvais, il concentra ses pensées. Aussitôt, le corps éthéré qui se collait presque au sien se distordit sous la poigne cruelle d'une main invisible. Soumis à la pire des tortures, le défunt chercha à échapper à l'implacable emprise. Il lâcha un gémissement lugubre qui donna la chair de poule aux spectateurs vivants de la scène. Puis la masse brumeuse se dilua dans l'air. Avec une irritation palpable, Lycaon s'exclama à la cantonade :

— As-tu peur de nous ? Pourquoi ne te montres-tu pas ?

Nul ne lui répondit. Cependant, les fantômes, qui avaient cessé leur ballet menaçant, filèrent à travers la lande sans le défier plus longtemps.

Lugan, perplexe, n'osait pas relâcher son épée. Les doigts enserrés autour de son manche, il observa les alentours avec suspicion. Son regard croisa celui de Cassian, mais le louvat se détourna aussitôt pour murmurer quelques mots à Mirelha. Le guerrier n'eut guère l'occasion de s'appesantir sur la nature de leurs propos.

Le froid le perça jusqu'aux os et enferma son cœur dans une gangue de glace. Une terreur instinctive s'insinua en lui. La périphérie de sa vision se brouilla brièvement de points blancs tandis que la céphalée lui vrillait à nouveau le crâne. Après avoir fermé les paupières et respiré un grand coup, il trouva la force de pivoter. Sa vision trouble ne saisit d'abord que les pans d'un manteau d'un bleu sombre damassé d'argent. Puis elle accrocha le visage pâle aux lèvres grises qui le remplissait tant d'angoisse et de dégoût. Tout humain qu'il fût, il ne pouvait ignorer non plus l'aura suintante de malice. Une odeur ferreuse, purement hallucinatoire, lui monta aux narines, et il réprima avec difficulté son envie de vomir. Les souvenirs ne se dérobaient plus. Ils s'exposaient dans toute leur horreur et leur violence à son esprit.

Les tortures. Les cajoleries. Son sang couvrant les draps. Son corps soumis à ses désirs.

Il avait supplié pour qu'il cessât de le taillader. Il avait supplié pour qu'il cessât de le posséder.

Dieu savait qu'il n'avait jamais voulu abandonner ni réclamer sa douceur plutôt que sa cruauté. C'était pourtant ce qu'il avait fait lorsque, brisé, il n'avait plus trouvé de sens à sa résistance. Il s'était offert pour ne pas en endurer plus. Il aurait sûrement abrégé sa pathétique existance si ses souvenirs ne lui avaient pas été arrachés.

Lugan vacilla, puis tomba à genoux, tremblant et suffoquant. Cassian, le voyant au plus mal, accourut jusqu'à lui. Il avait oublié sa rancœur et ne nourrissait plus qu'une vive inquiétude à son égard. Quand il posa ses mains sur les épaules de Lugan, celui-ci releva la tête vers lui. Le louvat fut frappé par l'éclat de crainte qui traversa ses iris et, plus encore, par la violence de son rejet au moment où le guerrier le repoussa.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant