29 - Le pacte (2)

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— Tu devrais faire tes adieux au lieu de geindre. Après tout, ton temps avec eux est écoulé, commenta le sorcier avec un malin plaisir.

Lycaon ne prononça pas le moindre son articulé. Avec un amusement cruel, Freyr se pencha sur lui.

— Je suppose donc que je n'ai plus qu'à te marquer pour que tout rentre dans l'ordre. Mon ulfheðnar le plus puissant me manque, susurra-t-il.

Mirelha essayait de refréner ses larmes. Ambroise s'était figé dans une horreur muette. Quant à Enide, la fureur faisait trembler ses lèvres, et sa main pressait avec plus de force l'épaule de Cassian qui, toutefois, ne protesta pas même quand la douleur cingla son muscle. Son monde s'écroulait. Lycaon n'avait plus rien du chef inébranlable qui les avait toujours guidés. Lorsque Ambroise lui avait expliqué les intentions de leur alpha, nommer un remplaçant et se sacrifier, il avait espéré que Lycaon avait menti, qu'il n'avait jamais choisi d'héritier, qu'il avait réfléchi à une stratégie pour se tirer d'affaire et qu'il avait seulement veillé à ce que les autres ne devinent rien de ses intentions. Le voir ainsi à la merci du sorcier détruisait toutes ces espérances.

Cependant que le doute engloutissait Cassian, Lugan, jusqu'alors apathique, se releva sous les regards étonnés des autres. Même Freyr le considéra d'un air intrigué lorsque l'ancien chevalier osa lui faire front. La noirceur des souvenirs l'avait plongé dans le désespoir et la crainte. L'emprise du sorcier sur lui signifiait qu'il pouvait à tout instant redevenir son jouet. Toutefois, et bien qu'il éprouvât toujours autant de honte et de dégoût envers lui-même, la rupture de leur lien lui donnait le courage nécessaire pour faire face à son tortionnaire. Après tout, sa mission n'était pas terminée.

— Ne te montre pas aussi sûr de toi, Freyr Skjalgsson.

Le sorcier se redressa et plissa ses paupières sur ses yeux vairons. Toute trace d'amusement avait déserté son visage.

— Ce qui signifie ?

Lycaon murmura quelques mots dépourvus de sens pour les autres, mais qui poussèrent Freyr à reporter son attention sur lui avec une expression qui, oui, dénotait un sentiment de panique. Une vague d'énergie magique d'un bleu presque blanc les aveugla. Lugan émit un cri lorsque le halo l'encercla et s'enfonça dans son corps, non sans lui causer une vive douleur. Son être entier changeait. La puissance du flux le fit s'écrouler, à demi inconscient.

Lycaon avait désigné un successeur, et sa décision avait surpris. Ambroise la lui avait reprochée, Enide n'avait pas caché son scepticisme et, même s'il n'avait rien exprimé à ce propos, Cassian lui-même avait dû douter de la pertinence de son choix. Lugan possédait-il les compétences nécessaires ? Sans doute. Sur ce point, Lycaon ne pouvait se méprendre. Cependant, un simple mortel ne pouvait pas diriger la meute. Tôt ou tard, un loup, que ce fût Ambroise ou un autre, l'aurait défié pour prendre sa place. Ils auraient dû se douter qu'il y avait bien plus que ce que Lycaon avait consenti à leur confier.

L'aura de Lugan changeait. Elle n'avait plus rien de celle d'un humain. À l'inverse, celle de Lycaon faiblissait jusqu'à en devenir presque imperceptible. Il perdait ce qui faisait de lui un être surnaturel, l'ulfheðnar que Freyr souhaitait tant récupérer dans son giron. Malgré la douleur, il riait aux dépens du sorcier. Celui-ci n'avait pas un seul instant deviné ses véritables desseins. Tant que le sortilège du vampire agissait sur lui, l'alpha ne pouvait employer la magie. En acceptant le pacte, il avait perdu sa protection, mais il avait aussi regagné un pouvoir propre aux Sangs purs tel que lui, un pouvoir que Freyr avait toujours tenu caché, mais que le vampire lui avait enseigné. S'il avait donné son sang à Lugan, il n'aurait fait de lui qu'un Sang mêlé, comme Cassian et Mirelha. En abandonnant sa nature au profit d'un autre, il offrait non seulement plus de puissance à son successeur, mais aussi son savoir et ses souvenirs, ce qui le rendait d'autant plus légitime.

— Le pacte... protesta le sorcier, abasourdi.

Il releva sa manche pour considérer la marque sur son bras, mais, malgré une trahison qui lui paraissait évidente, celle-ci ne disparaissait pas.

— Je ne t'ai jamais promis de revenir en tant qu'ulfheðnar, ricana Lycaon en se redressant sur ses genoux.

Freyr le foudroya d'un regard vipérin.

Au même instant, Cassian, encore surpris, sentit l'esprit d'Enide se manifester auprès du sien.

Si tu veux agir, c'est maintenant ou jamais.

Cassian ne s'appesantit pas sur sa décision. Ils en avaient longuement parlé après que Ambroise lui avait avoué la vérité. Soit ils acceptaient de perdre Lycaon, soit ils acceptaient de risquer leur vie si une occasion se présentait.

Il appuya sur la détente de l'arbalète. Le sorcier, quoique distrait, réagit promptement. Un mot, et le carreau vola en éclat. Il lança ensuite un regard mauvais à Cassian, qui en disait long sur ses intentions funestes. Lorsqu'il remarqua qu'Enide et Ambroise avaient disparu, il était déjà trop tard.

Il n'eut que le temps de reculer pour éviter la première épée qui lui rasa le ventre en découpant une fente dans son manteau. La seconde lui transperça le dos, juste entre deux côtes. Enide pesa de toutes ses forces pour l'enfoncer jusqu'à la garde.

— Non, arrêtez ! s'exclama Lycaon d'un air horrifié.

Ambroise, qui avait échoué dans sa première tentative, embrocha à son tour le mage.

— Que dis-tu de cela, bâtard de putaine ? cracha-t-il en retournant l'arme dans son ventre.

Du sang s'écoula de la bouche entrouverte de Freyr. Ses yeux s'étaient baissés sur la lame qui ressortait de son torse en gouttant. Ambroise arracha l'épée de ses chairs et l'éleva dans les airs, bien décidé à lui trancher la tête. L'expression du sorcier, jusqu'alors figée par la surprise et la douleur, se durcit. Ses iris vairons étincelèrent en se posant sur Ambroise, et il ne lui fallut que deux mots pour l'envoyer voler loin de lui. Le Sang-pur atterrit sur le dos à plusieurs mètres de distance et resta assommé par le choc. Enide, bouche bée, relâcha son arme et recula de quelques pas. Elle se figea ensuite lorsque Freyr porta la main derrière lui et extirpa, non sans gémir, le glaive qui y était toujours planté.

— Je suppose que je devrais vous remercier tous les trois pour votre idiotie, mais c'était extrêmement douloureux, déclara-t-il d'une voix légèrement hachée.

Il jeta l'épée au sol et, ses yeux vairons étincelants de colère, pivota vers Enide. La louve aurait voulu fuir, mais ses jambes refusaient de lui obéir. L'esprit du sorcier s'insinuait en elle. Son propre corps ne lui appartenait plus. Ils avaient attaqué et échoué. Le pacte brisé, plus rien n'empêchait Freyr de se venger d'eux. Ils auraient dû se fier à Lycaon depuis le départ. Lui savait que toute tentative se solderait pas un échec. Au lieu de cela, elle avait voulu croire aux espoirs insensés de Cassian.

— Je suis déçu. Très déçu, murmura Freyr tout en posant la main à plat entre les seins d'Enide.

Des larmes roulèrent sur les joues de la Sang-pur. Elle ne se berçait d'aucune illusion.

— Je t'en supplie, déclara Lycaon dans son dos.

— Oh, oui, tu peux supplier, parce que tu n'es bon qu'à cela, désormais. Supplier, implorer, ramper... Mais, tu vois, je ne suis même pas intéressé.

Cassian et Mirelha poussèrent un cri épouvanté lorsqu'un horrible craquement se fit entendre. Le corps d'Enide bascula sur le côté. Freyr écrasa dans son poing le cœur qu'il avait arraché à sa poitrine. Il se tourna ensuite vers Lycaon, et celui-ci baissa la tête, abattu : son sacrifice n'avait servi à rien. Pourtant, il n'éprouvait aucune rage, aucune rancœur, aucune tristesse. Il était bien trop tard, de toute manière.

— Je suis venu pour mon fils, un ulfheðnar, et je me retrouve avec un mortel pathétique et inutile, déclara le sorcier.

Il mit un genou à terre pour se retrouver à la hauteur de Lycaon et posa une main sur sa joue avec une tendresse qui semblait sincère. Puis, il s'empara de l'épée qu'il avait abandonnée au sol et lui transperça le torse d'un coup net et précis.

Umbrae Proles 1 : L'héritier du loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant