Chapitre 4

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Médée s'était isolée un instant. Assise sur des marches, elle contemplait en contre bas, d'un air songeur, les humains dont le ballet se faisait incessant. N'arrêtaient-ils donc jamais de s'agiter ?

- Quelle futilité, souffla-t-elle doucement, le menton posé au creux de sa main.

Elle ressentait sa présence dans son dos... Un frisson la parcourut.

- Que veux-tu, Apsyrtos ?

Elle sentit un liquide poisser son vêtement, mais elle ne se retourna pas, se refusant même d'y jeter un coup d'œil. Elle pouvait voir les marches se draper lentement de rouge sous elle, un rouge pâle qui courait sur la pierre dans des volutes fantomatiques. Médée prit une profonde inspiration pour calmer les battements affolés de son cœur.

- Que veux-tu ? répéta-t-elle.

Sa voix se brisa sur la dernière syllabe. Effrayée plus que de raison par ce fantôme silencieux, elle entremêla ses doigts et pressa ses paumes l'une contre l'autre pour tenter d'endiguer le tremblement qui commençait à agiter ses membres. Elle sentit alors une caresse sur sa nuque, comme un souffle d'air. Sa gorge se noua, ses tripes tressautèrent. Elle aurait aimé hurler, mais aucun son ne parvint à s'extirper de ses lèvres scellées, soudées par une peur primale.

- Que veux... tu... ?

- Une vie pour une vie, susurra une voix aux accents sanglants. Un juste équilibre...

- Ma vie... ?

Un bruit de succion lui arracha un haut-le-cœur. Puis un impact, répété, contre les marches. Sous ses yeux fixes roulait une tête. La gorge semblait avoir été déchiquetée, la coupure était sale, du mauvais travail. Dans les yeux révulsés se dessinait un réseau de faisceaux éclatés des plus délicat. Des dents avaient été arrachées et de la bave sanglante venait teinter l'émail de celles qui restaient. La bouche aux lèvres gonflées se tordit dans un rictus.

- C'est un échange équivalent. J'ai été massacré par la seule personne qui comptait à mes yeux. Hais-tu ton mari ? Penses-tu qu'il n'est pas normal que je te haïsse à mon tour ?

- Si, chuchota Médée d'un air lointain. Tu as sûrement raison...

Une étrange sensation monta dans sa poitrine. Elle se plia en deux, le visage enfoui dans ses genoux alors que sa bouche s'étendait comme une plaie sanguinolente. Un sourire illuminé vint naître sur le visage de la jeune femme. Elle se redressa, rejeta sa tête en arrière alors que surgissait de sa gorge un affreux rire. Son corps en était secoué tout entier. Ses yeux écarquillés par la démence fouillaient les alentours avec égarement.

-Oh, si je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais, je hais ! Oh, comme c'est drôle !

- Que racontes-tu ? s'inquiéta Apsyrtos. Quelle folie t'a-t-elle donc frappée, toi, ma sœur ? Pourquoi a-t-il fallu que tu tombes entre les griffes de ce monstre ?

- Un monstre, dis-tu... ?

Médée saisit la tête de son frère entre ses doigts en agrippant à pleine main ses cheveux rendus poisseux par le sang. La tête penchée sur le côté, les lèvres plissées dans une moue dubitative et, dans les yeux, une condescendance sans nom.

- Monstre est un terme trop honorable pour un chien de basse-fosse tel que Jason. Un monstre est un mot qui résonne avec force et sauvagerie. Regarde-moi bien mon frère, observe, contemple, scrute et admire... L'œuvre de celle que je vais devenir. Je vais être Médée !

Médée, un monstre d'humanitéWhere stories live. Discover now