Chapitre 3

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Les Bacchantes, armées de leurs lyres, devaient danser une folle ronde, remplissant les airs de leurs chants distordus. Toute à leur ivresse, elles ne tarderaient pas à arracher les têtes de ceux qu'elles croiseront sur leur chemin. Ainsi va l'escorte de Bacchus. Médée les avait souvent observées de loin. Ses orbes glacés parcouraient leurs chairs, à peine cachées sous les peaux de tigre qu'elles s'étaient jetées en travers de leurs épaules. Elle se souvenait avoir interrogé son aïeule, Sol Indiges, dieu du soleil, à leur sujet. Comment des créatures aussi joyeuses pouvaient-elles habiter une telle folie meurtrière ?

Aujourd'hui, elle comprenait. Cette envie de rire, de danser, alors que seule la haine faisait mouvoir vos membres. Comme une lueur de folie, une baise rougeoyante... Il suffisait d'un souffle pour en faire un brasier destructeur... Alors si trois furies soufflaient à plein poumons dessus, nul doute que le feu qu'elles provoqueraient serait spectaculaire. Médée leva une main blanche vers les feux qui dansaient dans le lointain. Des braseros avaient été allumés dans les rues alors qu'une parade répandait sa joie sur tous les habitants de Corinthe. Silencieuse, un étrange sourire gravé sur le coin des lèvres, la magicienne contemplait ces danseuses qui riaient, telles les Bacchantes, ces musiciens qui éclaboussaient le monde de leurs notes liquides.

A ses côtés, Nérine demeurait immobile, le souffle quasiment suspendu, les yeux rivés sur sa maîtresse. Elle songeait à cette lueur folle qui se tapissait au fond de ses prunelles et un sentiment proche de la terreur glaçait son être. Bien qu'elle ait toujours craint sa maîtresse, c'était la première fois qu'elle se sentait elle-même en danger. Jupiter seul savait à quel point les pouvoirs de Médée étaient terrifiants ! des coups donnés contre le battant de la porte arracha la nourrice à ses sombres pensées.

- Prêtresse, vos enfants vous demandent, annonça une voix féminine.

- Faites-les entrer, ordonna Médée d'un ton doucereux.

Phérès et Merméros entrèrent en trombe dans la chambre de leur mère. Cette dernière leur ouvrit les bras pour qu'ils puissent s'y réfugier.

- Mère ! pépia Merméros avec innocence. Vous êtes belle !

- Merci, mon fils, sourit cette dernière.

Médée était habillée d'un chiton, cette ample tunique noire, dont les longues manches étaient fendues en deux à partir du coude et retenu aux épaules par des fibules ornées de pierreries. Par dessus, Nérine avait ajusté une stola argentée. Les cheveux de Médée coulaient dans son dos, libres de tout lien. Curieux, Phérès détailla la toilette de sa génitrice et esquissa un fin sourire, saisissant avec facilité les différents messages qui émanaient de cette simple tenue. La qualité du tissu prouvait le haut statu social de Médée et la stola était tout vêtement qu'une femme mariée se devait de porter en public. Mais les cheveux lâchés étaient portés ainsi en signe de deuil. Sa mère jouait sur un habile paradoxe, proclamant ouvertement qu'elle était encore liée à Jason tout en dénigrant complètement son mari. Et ses couleurs, et ses pierres précieuses... Saphir, pierre de lune, perle et cristal...

- Mère, vous vous rendez à la réception en tant que prêtresse d'Hécate ? lui demanda-t-il.

- C'est exact, Phérès. Lors d'un choix aussi important, il est normal qu'Hécate soit présente pour leur montrer les voies du destin...

Elle lui grimaça un horrible rictus qui dévoila ses dents sombres. Phérès cilla à peine devant cette vision cauchemardesque. Dans quoi sa mère avait-elle planté ses crocs pour les maculer de sang ? Il fit courir son regard sur le sol de la chambre et fronça les sourcils en voyant, dans un coin de la pièce, une chouette effraie aux ailes brisées. Son esprit d'enfant ne s'en effraya pas pour autant, voyant ici encore la symbolique du geste de sa mère. La chouette effraie était un attribut de Minerve, la déesse qui avait veillé sur les Argonautes lors de leur épopée. Elle était la déesse qui était à l'origine de la rencontre de la magicienne et du prince déchu d'Iolcos. Elle était à l'origine de sa tragédie... Médée tendit la main à ses fils.

Médée, un monstre d'humanitéWhere stories live. Discover now