Chapitre quatre

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Le café brûlait ma langue, le goût enivrant comblant mes sens, alors que le bâtiment bouillonnait de son agitation. La voix du garçon en face de moi couvrait les autres sons, rauque et séduisante, envoûtant les plus profonds recoins de mon esprit. Je serrais entre mes minces doigts la tasse ardente, laissant ma peau chauffer sous la flamme et la parole de l'être ravissant.

Il était la personne la plus captivante que j'avais rencontré, autant par son physique que sa nature–il était quasiment parfait. Je ne trouvais à sa personnalité aucune face cachée, aucun aspect déraisonnable, aucune imperfection. Il était pratiquement irréel, lui et sa peau légèrement hâlée, ses yeux charmants et ses cheveux en désordre. Pourtant, il se trouvait bien là, en face de moi, et il était bien en train de communiquer avec moi.

Je reposais le mug sur la table, retirant mes mains et les déposant elles-aussi sur la surface plane, alors que je souriais au récit d'Harry. Les coins de sa bouche se retroussèrent à cela, alors qu'il perdait certains de ses mots, bafouillant en emmêlant ses doigts dans ses cheveux, les repoussait en arrière. Il semblait mignon, alors qu'il couvrait son visage de ses grandes mains.

— Désolé, c'est seulement que tu, il étouffait ses mots ; un sourire entamait mes lèvres. Tu me déstabilises.

Mon esprit fut nébuleux un instant, essayant d'intégrer cette information. Je le déstabilisais ? Quelle chose pouvait être déstabilisante dans ma façon d'être ? Il lut la confusion sur mon visage et, immédiatement, approchait, attrapant une de mes petites mains entre les siennes, immenses.

— Ce n'était pas–hum–négatif, ou quoi que ce soit, d'accord ? C'est seulement que, disons...

Il fronçait les sourcils, balbutiant quelques paroles confuses encore. Mon attention était en réalité axée sur sa main, un pli confus déformant mon front à son geste soudain. Je ne savais pas ce qui était en train de me paralyser, si cela provenait du mouvement en lui-même ou de la personne qui le produisait. Je fus perdu pour un moment, m'isolant de ce qu'il disait ou faisait, restant simplement cloîtré dans mes pensées.

Le café refroidissait sur la table, contre ma main gauche, l'autre était toujours encerclée par celle de l'individu en face de moi. Il avait à présent arrêté de parler, nous plongeant dans le silence–néanmoins, rien n'était embarrassant. Il souriait de son côté, ce qui creusait de charmantes fossettes sur ses jours–je fis de même, timidement, abaissant mon visage vers la tasse tiède au creux de ma main. Il était réellement attrayant.

L'après-midi s'étirait de façon uniforme, nous discutâmes calmement, rimes ; il jouait distraitement avec ma main. Nous avions passé encore quelque temps dans le café, avant de communément décider d'errer dans les rues de Montréal ; il ne lâchait pas ma main un seconde.

Nous parlions tout les deux anglais. Je venais de l'Est du Canada et ma langue maternelle était bel et bien l'anglais, même si j'étais familier avec le français. Lui le parlait également, cependant, son anglais et son français étaient soulignés d'un accent que je ne pouvais identifier. Il terminait de me parler de ses études lorsque je posais la question.

— D'où viens-tu ? Ai-je dit, avant de souligner la brutalité de mes paroles. Enfin, je veux dire–j'ai remarqué ton accent, mais je n'arrive pas à savoir d'où il provient.

— Du Cheshire, en Angleterre, a-t-il répondu en souriant. Parfois, la Grande-Bretagne me manque, mais j'apprécie tout de même le Canada. Les Etats-Unis, aussi... Je m'y rends souvent pour des affaires–j'imagine que tu y étais déjà également.

Je secouais lentement le visage, ce qui amenait de la confusion sur le sien–stupide peur de l'inconnu, me suis-je dit, essayant de trouver quelques arguments. Les Etats-Unis se trouvait à uniquement une heure d'ici, j'avais étais un idiot toute ma vie en ne m'y rendant pas.

— Oh, je vois. Je t'emmènerais, si tu le veux, un jour. Nous pourrions aller dans le Maine, ou alors à New-York, a-t-il dit, souriant.

J'acquiesçais, même si j'étais quasiment certain que cela n'arriverait jamais. L'individu à mes côtés semblait pourtant apprécier cette idée ; nous continuâmes à marcher en silence par la suite. Parfois, il parlait, ou je le faisais, introduisant un sujet ou simplement un commentaire agréable.

A la fin de la journée, lorsque le soleil commençait à se coucher–il était néanmoins uniquement seize heures–il me raccompagnait chez moi et, après qu'il m'ait embrassé la joue, nous nous séparâmes. L'après-midi avait été tellement agréable, je ne pouvais pas trouver d'autres mots.


*


J'étais en train d'examiner étrangement mon visage, depuis mes yeux, deux grandes fenêtres bleues indéchiffrables, jusqu'à mes lèvres minces. Mon regard abordait ensuite le reste de mon corps, ma petite figure dans son entièreté, puis plus en particulier mon petit ventre, mes cuisses et mes hanches. J'avais l'impression d'avoir hérité du corps d'une femme, dans un sens–j'étais un petit peu rebondi, en réalité. Rien n'était grave et, de toute manière, je savais que me nourrir presque uniquement de fast-food aurait irrémédiablement payé un jour, mais, tout de même, c'était étrange.

Je pinçais de mes petits doigts fins mon ventre, alors que mes sourcils se fronçaient. Une envie de soupirer me prit, mais je la retins, désireux de ne pas amener plus de pensées négatives. Je détournais seulement le regard, fuyant mon reflet lorsque je sortais de la salle de bains. Une image claire du garçon avec lequel j'avais passé l'après-midi flânait dans mon esprit–les pensées que j'avais de lui étaient presque envahissantes. Une en particulier persistait : je ne comprenais pas pour quelles raisons il voulait entretenir une relation quelconque avec moi.


*


             11:06 pm — « J'ai beaucoup aimé cette après-midi, amour. On devrait se revoir, une autre fois. »

             00:01 am — « Je l'ai aussi appréciée... Je suis souvent disponible. »

             08:35 amappel entrant

             08:36 amappel accepté

             11:03 amfin de l'appel. Durée 2H27.

             11:15 am — « Heureux de te voir samedi, chaton. »


*


Ce qui est contraignant avec le bonheur, c'est qu'il est éphémère.


« Fleurs, insectes éphémères. La

 mouche éphémère qui éclôt le matin,

 et meurt avant le coucher du soleil,

 croit le jour éternel. »

STENDHAL, Hist. Peint. Ital., 1817, p.34.

Black Baccara - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant