Chapitre six

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Je considérais la chose en face de moi avec dégoût, incapable d'apprécier ses traits difformes, ses contours rebondis, ses aspérités multiples. Sa face était séparée en deux, une partie illuminée de la lumière matinale, puis l'autre, plongée dans l'ombre de traits tordus, étirés sur la surface inégale.

Quelques secondes plus tard, alors que le soleil se faisait couvrir de nuages sombres, chargés d'affliction, l'ensemble de la figure fut plongée dans les ténèbres–ils consumèrent les lumières, distordirent les formes imparfaites, engloutirent la clarté.

Mes yeux quittèrent le miroir, rencontrant ses bottes couvertes de boue.


*


Le ciel était obscur, d'une couleur étrange ; il faisait jour, mais la luminosité était faible, la clarté presque voilée. La fenêtre, au fond de la pièce, était continuellement frappée d'une pluie violente. Le claquement de celle-ci résonnait contre les murs, à mes oreilles. Les éclairs projetaient de vives ombres dans l'espace, soulignant la moindre rugosité, les angles brutaux des vieux meubles, son visage fermé. Le tonnerre explosait rudement, chaque déflagration plus violente encore.

Nous étions plongés dans le noir, entre deux éclairs. Le seul bruit distinct était celui de ses ongles parfaits, frappant contre sa chaise usée. Je ne bougeais plus. Ma respiration était bloquée dans ma gorge, impossible à dégager de mes poumons. Elle semblait monstrueuse. Ses traits dégagés, accentués pas les brusques éclats continus, dessinaient une figure horrifique, distordue et imparfaite, effrayante.

Je ne pouvais pas la regarder.


*


Il s'imposait chez moi, un samedi soir. Son voyage venait de se terminer, le jour même et c'est pourquoi son arrivé me surprit. Je masquais mon ébahissement, élaborant un rictus que je voulus joyeux–il y répondit. Il m'embrassait, puis entrait. La maison était parfaitement nettoyée, ce qui me rassurait. Il inspectait vaguement les lieux, mais ne fit aucun commentaire, souriant simplement en déposant entre mes mains un bouquet de roses noires.

— Le voyage était formidable, mais tu m'as réellement manqué, a-t-il dit en se laissant aller dans le canapé.

J'allais vers la cuisine, il continuait de parler. Il me racontait son voyage, l'Amérique, les contrats signés et la joie qu'il avait de me revoir. Il semblait réellement heureux, mais épuisé. Je nous préparais de quoi boire, puis le rejoint dans le salon, où nous terminâmes la soirée, mêlé l'un à l'autre.


*


              09:03 am — « Désolé pour avant-hier. J'ai dû partir pendant la nuit et je m'en excuse, certains associés me demandaient et je ne pouvais refuser... »

              10:05 am — « Tout va bien ? »

              16:55 pm — « Tout va bien. »


*


Un, deux, trois. La lumière était fade, chargée en poussière ; le liquide semblait terne. Il ne captait aucun éclat, s'écoulait seulement, douloureusement, butant sur certaines inégalités de la surface. Je le regardais tomber, bas, plus bas encore, à grand débit ou posément ; mon regard nébuleux étudiait son trajet passivement.

Quatre, cinq, six. L'air glacial mordait ma peau, plantant ses crocs profondément, provoquant de nombreux frissons au creux de mon corps. Le liquide s'écoulait, puis se brisait, poussant dans le vide plusieurs gouttes palpitantes qui, quelques secondes plus tard, s'écrasaient sur le sol, inertes.

Sept, huit, neuf. Je me redressais et, aidé des murs adjacents, me remit sur pied. Mon emprise précédente sur l'objet métallique fut relâchée en un tintement distinct, qui fit écho à mes oreilles. De nombreux vertiges me secouèrent, lorsque je marchais jusqu'à l'entrée, déverrouillée.

Dix, onze, douze. Mes membres étaient incapables de maintenir leur ardeur ; ils étaient flageolants, chancelants, faibles. Je titubais avec difficulté à travers le bâtiment, avachi sur chacun des murs a porté, exténué. Une fois la prochaine porte franchie, le contraste entre l'obscurité et la lumière m'éblouit, manquant de me faire expulser mon estomac.

Treize, quatorze, quinze. Ils se trouvaient là. Lui, au fond de la pièce, adossé nonchalamment à un mur, vêtu uniquement de noir. Ses bottes boueuses étaient accolées à la tapisserie immaculée, il me souriant sournoisement ; puis eux, assit droitement sur le canapé, habillés tout de blanc, chimériques, comme en attente.

Ils m'attendaient.

Leurs regards nuisibles se tournèrent vers moi lorsque je pénétrais dans la pièce, attentifs à la moindre de mes réaction ; je perdis connaissance.


*


— Tout va bien, je te le promets, ai-je soufflé, introduisant le cachet dans ma bouche.

Liam secouait la tête, assit à mes côtés, avant de placer une main sur ma jambe. Je déglutis.

— Tu n'es pas obligé de me cacher ce qui t'arrives... Je suis ton frère, je suis ici pour t'aider.

Je me murais dans mon mutisme, essayant de ne pas croiser ses yeux. Les glaçons sur mon crâne étaient douloureux, mais la blessure l'était encore plus. La souffrance transissait mes tissus, assombrissant ma conscience, mes sens. Liam était la personne de laquelle j'étais la plus proche, après Harry, mais il semblait tellement distant. Je regrettais nos moments heureux, avant ma chute.

— Et à propos de ce garçon, a-t-il murmuré après quelques minutes, tu peux aussi m'en parler.

Un éclat de conscience introduit une certaine clarté dans mon esprit ; je retenais un rictus heureux.

— Qui t'en a parlé ?

— J'ai retrouvé ses vêtements dans la machine à laver. Aussi, sa voiture se trouve souvent devant chez toi. Yves Saint Laurent, Gucci, une Mercedes... Qui est-il ? Il est plus vieux que toi et milliardaire ?

Un léger rire m'échappait, alors que je me tournais vers mon frère souriant.

— Il a seulement six ans de plus, ai-je dis. Il s'appelle Harry. Il travaille en collaboration avec plusieurs grandes marques, surtout françaises et américaines et est en train de créer sa propre marque de vêtements de luxe.

Liam retirait le sac de glaçon de ma main, le déposant sur la table basse. Il passait une main sur mes épaules, nous entraînant dans le fond du canapé.

— Tu sais, à propos de ce qui s'est passé la dernière fois, au concert... Les organisateurs ne sont pas en colère ou quoi que ce soit, ils sont compréhensifs. Tu peux retourner t'entraîner là-bas quand tu le voudras, a-t-il articulé doucement, comme pour ne pas me brusquer. Pour ce qui est de ce Harry, je suis heureux qu'il te rende heureux.

Harry me « rendait heureux ».


« La mort, si redoutée des heureux,

 n'est, pour les infortunés, qu'une

 pâle et froide amie »

DUMAS père, Lorenzino, 1842, I, 11, p. 209.

Black Baccara - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant