Prologue : La Routine

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Space Era 74, Territoire de la Fédération, 22h37 heure locale.

Presque seule sur la longue autoroute traversant la grande mégalopole Bruxelles-Berlin, une moto sombre vrombissait à vive allure, doublant toutes les voitures qu'elle rattrapait. En plus de la nuit qui empêchait déjà de distinguer nettement sa silhouette, le motard portait un casque intégral qui masquait entièrement son visage et une combinaison assortie à la couleur sombre de son engin. Cependant, malgré la nuit, on pouvait distinguer sur son dos les reflets d'un long fusil d'assaut sniper équipé d'un silencieux qui faisait près du tiers de la taille totale de l'arme.

Au bout de plusieurs centaines de kilomètres parcourus, le motard et son arme arrivèrent enfin aux limites de la ville de Bruxelles. Là, il lui fallut passer un petit contrôle pour entrer dans la ville. Le barrage se constituait d'une dizaine de policiers armés et de deux Comets, ces machines de combat humanoïdes de plus de seize mètres de haut que le voyageur commençait à avoir l'habitude de voir. Il présenta un document sans même relever la visière de son casque et, malgré la réticence des soldats devant l'arme fixée dans son dos, put passer sans encombre.

Près d'une heure après, après avoir laissé sa moto sur le bord de la chaussée, le voyageur, toujours son casque sur la tête, s'était posté en haut d'un immeuble de la capitale. Il avait pris de l'avance sur son programme et ne passerait donc pas tout de suite à l'action. Pour s'alléger le dos, il détacha le fusil d'assaut et le posa à terre. L'arme avait vécu mais restait encore en excellent état. Derrière son casque, le motard se surprit à sourire ; avec le temps, il s'était attaché à cette arme sans même s'en rendre compte.

Il repensa aussi aux policiers qui l'avaient arrêté et au regard qu'on lui avait lancé. Ils devaient savoir, pourtant, que certaines personnes pouvaient accéder à n'importe quel endroit de la Fédération tant qu'ils avaient ce type de document.

Le motard revenait directement de Berlin, l'une des principales villes de la Fédération, où son ordre de mission lui avait été donné. Le départ avait immédiatement suivi et il se trouvait désormais à Bruxelles, la capitale même de la Fédération.

Après plusieurs heures passées dans un silence complet, une petite alarme sonore à l'intérieur de son casque le sortit de la torpeur dans laquelle il avait semblé tomber. Il attrapa son arme laissée à terre et atteignit le bord du toit sur lequel il se trouvait et d'où il pouvait voir presque toute la ville.

Sur la visière du casque s'afficha un cercle qui se déplaçait lentement. Un nombre variant chaque instant l'informait de la distance de sa cible. A voir la vitesse de variation des chiffres, il devait sans doute se trouver dans une voiture. Enfin, au détour d'une ruelle, pour l'espace d'une seconde, l'œil sous le casque put voir, plus loin dans la ville, une voiture sombre aux vitres teintées.

La visière se releva, découvrant de grands yeux sombres, et les doigts serrèrent l'arme à feu. A travers le viseur, le tireur retrouva la voiture repérée quelques secondes auparavant. L'œil se plissa légèrement et le doigt se pressa contre la gâchette.

Un claquement bref et étouffé résonna dans son casque. La seconde qui suivit, la voiture s'arrêta en catastrophe. Le chauffeur sortit immédiatement et, paniqué, ouvrit la porte passager, révélant un homme qui, la tête percée de part en part par une balle, tomba à terre, laissant son sang se répandre dans une flaque grandissante.

Le tireur rabattit sa visière, rattacha son arme dans son dos et redescendit de l'immeuble. Au loin, des sirènes de police et d'ambulance retentirent, mais d'après leur volume, le tireur conclut avec un mélange de soulagement et de satisfaction qu'elles ne se dirigeaient pas vers lui. Il retrouva sa moto, démarra son engin et partit dans la direction opposée. Quelques minutes plus tard, après être sortie de Bruxelles, la moto entra dans une base militaire située à quelques kilomètres de la capitale.

Cette fois, l'accueil fut différent. La silhouette sur la moto était familière et chacun la salua, parfois avec distance, parfois avec camaraderie, sans qu'elle n'ait besoin de relever sa visière. Elle laissa sa moto dans l'espace prévu à cet effet et entra directement dans les quartiers du commandant de la base.

Dans son bureau, le commandant Gensac relisait ses rapports mais, lorsqu'il vit arriver le casque et le fusil qu'il connaissait bien, il se leva et alla à leur rencontre d'une voix forte et presque joviale :

— Héliana ! Enfin ! Le Sniper de la Fédération est toujours aussi redoutable à ce que je vois ! La nouvelle est déjà sur le net !

Le motard enleva alors son casque, révélant, en plus de ses yeux marron, une longue chevelure châtain clair, soulignée par un pendentif représentant deux ailes d'ange.

— Efficace et mortelle, renchérit la jeune femme. Qu'est-ce qui se dit alors ?

— Les journalistes se doutent bien qu'il s'agit toujours de nos conflits internes. Ni l'UNA ni l'Alliance ne sont accusés.

— Ils savent que c'est l'armée ?

— Ils l'évoquent. Mais vu le parcours du type, ils n'excluent pas la piste d'un règlement de compte.

— Ces types ne savent pas reconnaître un travail amateur d'un professionnel, dit-elle en haussant les épaules, visiblement vexée.

— Cela joue en notre faveur. Le plus tard le lien est fait entre lui et nous le mieux ce sera.

— Vous avez sans doute raison.

Le commandant retourna s'asseoir à son bureau :

— Je viens de recevoir une information vous concernant. Il semblerait que vous soyez demandée plus haut.

— Plus haut ? demanda-t-elle. Où donc ? A Berlin ?

— Non.

— A Bruxelles alors ?

— Non plus.

— Sauf votre respect, je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— Je parlais d'un autre type de « plus haut ».

Elle fixa le commandant du regard, comme pour le forcer à s'expliquer. Celui-ci, laissant un léger sourire naître sur son visage, leva les yeux aux ciels pour l'inviter à suivre son regard. Les yeux de la jeune femme s'allumèrent :

— Les colonies ?

— Absolument. Votre présence est exigée sur Neo Paris dans deux jours, où de nouvelles instructions vous seront données !

À ces mots, Héliana ressentit une immense excitation mais la cacha derrière son respect de la hiérarchie.

— Il me semble que vous êtes d'ailleurs originaire des colonies, non ?

— C'est exact, commandant, opina-t-elle.

— Je vois que vous avez également fait un passage par l'Alliance dans votre enfance, ainsi que quelques missions au sein de l'UNA. Vous êtes décidément très polyvalente. Je suis sûr que vous conviendrez à la mission que l'on vous donnera.

Le commandant s'avança alors vers la jeune femme et lui tendit la main.

— Mademoiselle Steinfeld, je vous souhaite bonne chance dans la suite de votre parcours. Ce fut un honneur d'avoir à travailler avec vous.

— Je vous remercie, commandant Gensac, dit-elle en lui serrant la main. Ce fut un honneur de travailler avec vous également.

La moto quitta la base en trombe quelques minutes après. Elle avait dans la poche intérieure de sa veste de quoi accéder directement à l'un des spatioports de la Fédération pour décollage immédiat pour Neo Paris.

Sous le casque sur lequel défilaient les réflexions des éclairages publics, Héliana s'interrogeait. Neo Paris était l'une des colonies spatiales de la Fédération, connue pour être l'une des plus belles, des plus agréables et des plus pacifistes. Qu'est-ce qu'une tireuse et pilote comme elle pouvait bien avoir à faire sur un tel havre de paix ?

Une idée lui traversa alors l'esprit. Une idée à laquelle elle n'aurait pas préféré penser mais à laquelle elle ne trouvait malheureusement rien qui puisse la réfuter. Tout autant que sa modernité, Neo Paris était aussi connue pour ses nombreuses avancées techniques et beaucoup des nouvelles technologies de la Fédération y voyaient le jour.

Serait-il alors possible qu'après les nouvelles sources d'énergie et les moyens de transports révolutionnaires, ce soit maintenant une arme qui y soit développée ?

Projet Stolas I - Wings of MetalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant