Chapitres 22, 23, 24

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22- En famille

La route défilait sous mes yeux impatients, papa était silencieux, Ophélie assoupie à l'arrière de la voiture. Mon cœur était rempli d'espoir quant à ces retrouvailles, la vie nous offrait une seconde chance, un nouveau départ. Au fond de moi, malgré tout, j'étais triste car j'aurais aimé partager cela avec maman. Nous sommes arrivées à destination au bout de 45 minutes.

Mes grands-parents étaient agriculteurs, ils possédaient plusieurs hectares de terrain dans l'ouest de l'île, à la Saline. À l'entrée de la propriété était un portail monumental, ce qui donnait à la demeure un caractère prestigieux et unique en son genre. Le jardin immense était recouvert de pelouse et parsemé ici et là de fleurs diverses et d'arbres en tout genre, cocotiers, palmiers, filaos, etc. Au loin, j'ai aperçu les vergers de manguiers et de letchis, ainsi que les champs de canne à perte de vue. Au bout de l'allée, une fontaine en pierre, autour de laquelle la voiture pouvait circuler, devançait une grande maison d'inspiration créole avec son toit en zinc bordé de lambrequins, sa grande varangue au carrelage en damier noir et blanc, ses colonnes, etc. Papa nous a confié qu'à l'arrière de la maison se trouvait une piscine avec un pont, des chaises longues et un hamac pour se détendre avec une vue spectaculaire sur tout le littoral. Je devais l'admettre, c'était une jolie demeure et je n'en revenais pas que mon père ait quitté tout cela pour vivre avec maman. Cela me rendait encore plus admirative de leur amour.

Un homme et une femme âgés se tenaient à la porte, mes grands-parents. Papi Christian était la copie conforme de mon père avec des années en plus. Il était grand et charismatique, les cheveux blancs, le regard perçant. Mamie Suzanne ressemblait à une femme d'affaires dans son tailleur. Ses longs cheveux aussi roux que les miens retombaient sur ses épaules. Elle avait les pommettes saillantes et affichait un sourire franc.

C'est elle qui a pris la première mon père dans ses bras. Puis, elle s'est baissée vers ma sœur pour lui souhaiter la bienvenue, enfin elle s'est tournée dans ma direction pour me saluer. Mamie m'était encore étrangère, mais je l'ai sentie très émue. Quant à papi, il donnait vraiment l'impression d'être quelqu'un d'austère et de rigide. Papa s'est avancé vers lui, l'a pris dans ses bras et sans se parler tous deux ont pleuré. Mamie, en pleurs elle aussi, s'est rapprochée d'eux et les a enlaçés. Cette vision m'a bouleversée. Une fois encore, j'ai pardonné à mon père le mal qu'il m'avait fait subir, comme lui était en train de pardonner à ses parents. Ne comprenant pas ce qui se passait, Ophélie s'est mise à son tour à sangloter.

— Chhhh! Ne sois pas triste, tout ira bien maintenant, ai-je tenté de la rassurer, n'ayant pourtant aucune certitude encore. Plus tard, une fois passée l'émotion du retour du fils prodigue, grand-mère nous a accompagnées, ma sœur et moi, dans nos chambres respectives. Elles étaient immenses. J'ai, sur le coup, eu le sentiment de rêver, d'être une princesse dans son château. Ophélie, qui n'avait plus l'habitude de dormir seule, a pris peur et a préféré s'installer avec moi. Sur l'oreiller, Mamie avait déposé des cadeaux, en guise de bienvenue.

— Il ne fallait pas, c'est beaucoup trop, ai-je balbutié.

— Ce ne sera jamais trop pour vous mes petites-filles! Nous avons tellement de temps à rattraper.
— Merci mamie! s'est écriée Ophélie, euphorique à la vue de tous ces présents.

— Merci mamie.

Malgré mes efforts pour ne pas y penser, le mot «mamie» sonnait encore faux à mes oreilles. Il y avait trop de questions sans réponse dans ma tête. Trop d'incompréhensions. Trop de non-dits. J'avais besoin de réponses tout de suite et maintenant! Je savais pourtant que je risquais de tout gâcher, de rompre le charme de cet instant si parfait mais j'ai tenté le tout pour le tout.

Jamais trop tard (histoire terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant