Chapitre 11 : Haymitch

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- Haymitch ? prononce-t-elle, incertaine et probablement encore léthargique.

- Ne bouge pas.

Ce n'est même pas une demande, c'est un ordre. Et elle m'obéit. Elle relâche toute pression, au point qu'elle s'enfonce presque dans le sol miteux. Passe un long moment. J'aimerai dire qu'un ange passe, mais cela bien longtemps que les anges ne se présentent plus devant Effie et moi. Rapport au fait que nous avons cautionné un système menant à la mort des centaines d'adultes et d'enfants. Crime contre l'Humanité, voilà, c'est ça. Paraît qu'ça ne mène pas au Paradis.

D'un autre côté, moi je m'en fous. Si les Jeux m'ont bien appris une chose, c'est que la peur de la mort porte bien moins de rationalité que la peur des Hommes. Ce sont des hommes et des femmes, poussés par la jouissance malsaine d'autres hommes, qui se sont entretués. De simples êtres humains, jetés dans la débâcle de l'animalité profonde, essayant de survivre comme ils le peuvent. Ce qui à mes yeux est encore plus monstrueux. Tous mes cauchemars et toutes mes douleurs depuis quarante ans n'ont été causées que par la nature humaine, cette nature qui consiste à tout faire pour survivre, à ne pas aller contre la conservation égoïste de soi.

Le Capitole craignait pour sa sécurité et en conséquence combattait les rebelles.

Effie du Capitole ne craignait rien et s'est engagée avec eux. Effie ne répond à cet instinct primaire que j'ai décrit plus tôt et dont je croyais qu'il se trouvait en chaque être humain. Non, il existe une certaine catégorie de personnes au-dessus de cela. Dont font partie Katniss qui a pris la place de sa sœur, Peeta qui sur l'autel de la survie de sa - désormais - femme sacrifierait sa propre vie.

Un instant.

Je crois que je me trompe.

Katniss et Peeta ont protégé uniquement ceux sans lesquels ils ne concevaient pas de vivre. N'est-ce pas une forme d'égoïsme ? N'est-ce pas une forme d'auto-conservation que de se préserver de la douleur d'une personne qu'on aime ?

Alors, Effie est encore au-dessus.

Effie, mais aussi Cinna, le styliste de Katniss, mort pour... pour avoir créé une robe, je suppose. Une robe qui a enflammé Panem. Presque au sens propre, d'ailleurs. Ces deux personnes avaient tout à perdre en agissant comme elles l'ont fait. Et ça ne les a pas arrêtées. Effie comme Cinna, sont ce que j'appelle de véritables héros.

Cette jeune femme devant moi, à peine reconnaissable sans tous ses artifices coutumiers, n'a jamais resplendi aussi fort. Elle peine à manger ce que je lui apporte, elle n'a plus rien de l'exubérante femme du Capitole que j'ai connu : ses cheveux ne sont plus blond platine, son maquillage s'est effacé comme de la craie sur un tableau noir, laissant des traces trop pâles, donnant l'impression que sa peau n'avait jamais profité des caresses du soleil. Un enchevêtrement de tissus criards dépourvus de la vitamine vestimentaire habituelle, composent sa tenue. Ses yeux ont, je crois, repris leur couleur naturelle.

J'ai le sentiment étrange de découvrir ce que je connais déjà. Débarrassé de poudres, crèmes et autres onguents, son visage semble avoir perdu plusieurs années, et exhale une maturité étonnante ; la platine a laissé la place à un autre blond, plus chaud, d'une teinte proche de celle du miel ; ses yeux dont elle transformait si souvent la couleur sont en réalité deux billes noires, ténèbres absolues d'une généreuse beauté.

Elle est tellement plus banale, plus simple, exhale même un air légèrement maladif... je ne l'ai jamais trouvée aussi belle. Elle est splendide.

Elle est splendide et pourtant je ne l'avais jamais trouvée jolie.

Moi qui détestais le silence des morts, moi qui m'enfermais dans le mutisme parce que je pensais pouvoir y trouver la paix, désormais je savoure tout naturellement l'instant sans paroles qui s'offre à moi. Jamais l'absence ne m'a paru autant remplir la pièce et ma vie.

Il me faut pourtant le briser, et étrangement la fin de ce silence presque pieux le sublime encore.

Je saisis sa main pour calmer la nervosité qui me prend soudain.

- Effie ? Je veux te parler de quelque chose. Je veux te parler de ma maison. Ça doit te paraître évident, mais il s'agit de celle que j'ai obtenue à la suite de ma victoire. La demeure récompensant que j'ai assassiné des gens, dans le village des vainqueurs jusqu'il y a peu complètement vide. C'est en réalité une maison sans foyer, où la solitude a rongé mes jours. Une maison que je déteste, qui exhale le renfermé et l'absence, et puis un peu l'alcool, aussi. Qui me respire, en quelque sortie. Qui me respire quand je n'ai jamais rêvé que d'y expirer le plus vite possible.

Je marque une pause, un instant. Parce que c'est nécessaire, parce qu'il faut que je reprenne mon souffle et rassemble mes esprits. Ma main serre un peu plus la sienne, et je sens la peau chaude de la tempe d'Effie sous les doigts de l'autre.

- Je n'ai voulu que vivre dans la mort, toutes ces années, dans l'espoir que peut-être, elle viendrait me prendre. Et pourtant tu es là ; toi qui par-dessus tout a choisi la vie, celle dont tu défends si farouchement la liberté. Tu es là, et ta présence a perturbé mon équilibre. Ton courage et ta force de vivre, tu les as imprimés de façon indélébile quand tu as pénétré chez moi. Tes yeux qui me regardaient pleurer, qui s'inquiétaient pour moi m'ont confronté à ce que je refoulais depuis si longtemps. C'étaient mes proches qui me regardaient comme ça, auparavant. Il y a très longtemps. Ils sont morts depuis, probablement par ma faute. Leurs visages sont ancrés dans mes cauchemars, et leurs ombres agrandissent la mienne. Je suis venu pour te demander une faveur. Effie, pourras-tu revenir ? J'ai menti, tout à l'heure. Ma maison sans foyer en a trouvé le jour où tu y es entrée. Y avoir goûté me rend désormais incapable de m'en passer.

Je ne saisis pas bien le silence qui suit. Sans être très diffèrent du précédent, il y est totalement opposé. Le soulagement d'avoir dit ce que je devais et l'angoisse de la réponse font battre mon cœur qui propulse un sang nouveau dans mes membres. Je ne me suis jamais senti aussi entier, aussi vivant.

Sans un mot, elle porte nos mains entrelacées à son visage pour déposer un baiser sur nous phalanges emmêlées. Puis ses lèvres se déplacent pour se poser cette fois sur ma joue, pendant que ses bras entourent doucement mon cou et que son visage froid fait frissonner mon échine en entrant en contact avec la peau de ma gorge. Elle prononce mon nom, puis quatre mots, les murmure doucement contre ma jugulaire.

« Ramène-moi chez moi. »

Le premier vrai sourire depuis des années apparaît sur mes lèvres. Parce qu'elle n'a pas dit « chez nous ». Parce qu'il est désormais une évidence, une certitude, parce qu'elle a accepté que « chez moi » ne puisse être qu'avec elle. Je ne comprends pas moi-même cette situation.

La scène est si irréelle.

Moi qui n'avais, jamais vraiment apprécié Effie, refusant de lâcher sa main. Nous parcourons ainsi tout le chemin qui mène au village des vainqueurs.

Je n'en ai aucun souvenir, mais nous montons pourtant jusqu'à la chambre, où nous faisons l'amour. Nous nous déshabillons, nous nous touchons avec précaution, comme si chacun ne voulait pas briser l'autre par son impatience. Nous nous caressons, nous nous explorons avec douceur, avec une tendresse que je ne me rappelle pas avoir connue auparavant, et lorsque nous nous étreignons, c'est pour faire cicatriser réciproquement les blessures de l'autre. J'embrasse Effie lorsque nous jouissons ensemble, et je refuse de la lâcher lorsque nous endormons.

Deviens mon foyer (Hayffie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant