CHAPITRE II - Embrasement.

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« Les semaines s'écoulèrent au même rythme que les ultimes feuilles automnales disparaissaient. L'hiver arrivait. Les grands froids rendaient les écharpes de rigueur et les manteaux n'étaient plus optionnels. Lily-Rose détestait l'hiver. Elle avait l'impression que, sans neige, cette saison se trouvait sans intérêt. Il faisait froid, les journées raccourcissaient, et elle avait le nez constamment rouge. Avec, parfois, de la morve en supplément.

Peut-être n'aimait-elle pas cette période également parce que pour s'habiller correctement, cela relevait de l'impossible. Si elle voulait sortir, la grosse doudoune en plumes était à bannir. Du coup, elle mourrait de froid pour aller au bar, et pour en ressortir. Elle avait l'impression également que ces moments verglacés étaient propices aux compagnons de couette réguliers. Que, pour y survivre, il fallait avoir quelqu'un dans sa vie. Alors pour Lily-Rose, la déprime de l'hiver était bel et bien présente. Non pas qu'elle souhaitait un homme dans sa vie, juste que ça lui rappelait à quel point elle était seule. Que, sans sexe régulier, elle en venait à regarder la télévision comme une loque avec son chat ou à travailler sur ses papiers comme une forcenée. En ces soirées hivernales, les bars se vidaient, et elle-même ne trouvait plus la motivation nécessaire pour s'évader. Irritable, ressemblant à une jeune ménopausée, elle ressentait le besoin de se terrer dans sa solitude, se rassurant en se disant qu'elle n'occupait pas son précieux temps à ne rien faire.

Ce soir-là, un vendredi de décembre, la jeune femme avait le nez dans sa traduction, les sourcils froncés, les lunettes au bout du nez. Elle se demandait comment un auteur aussi perché avait pu écrire telles sottises, et comment, ces petits mots pas bien difficiles en anglais, pouvaient se révéler si impossibles à traduire en français.

Les parents de Lily-Rose venaient de Manchester en Angleterre, belle ville urbaine pas bien loin de Liverpool. À ses onze ans, ils avaient déménagé en Bretagne pour le travail de son père, faisant apprendre à la jeune femme un français parfait au fil des années. De caractère studieux, il en avait fallu peu à Lily-Rose pour, une fois avoir passé son diplôme, trouver un travail chez un éditeur parisien. Ses revenus se trouvaient élevés pour son jeune âge, sa fluidité d'écriture et son amour pour la lecture lui faisant travailler pour des grands. Même si, en ce moment précis, elle voulait balancer les mots de ce foutu philosophe américain par la fenêtre, elle adorait son métier. À vingt-cinq ans, occuper ce poste, c'était le pied.

Elle avait la chance de pouvoir travailler à domicile, et son caractère misanthrope contradictoire s'en trouvait ravi. Comme si elle fuyait le monde autant qu'elle rêvait d'y appartenir. En se voyant ainsi, la jeune brune se détestait. Elle avait l'impression d'être ce genre de personne pessimiste et faussement écorchée vive qu'elle avait en haine. Ce qui la rebutait le plus, c'était que ce n'était pas spécialement faux pour autant. Peut-être était-ce suite à ses déboires internes qu'elle ressentait autant le besoin d'un homme dans son lit. Elle n'en avait pas la moindre idée. Et elle redoutait bien trop l'idée de se pencher sur la philosophie de son esprit pour y réfléchir. Elle était ce qu'elle était, et cela lui suffisait amplement.

Mais, en cette nuit atteignant les degrés négatifs, elle n'avait qu'une envie : sortir. Chasser. Au bout de deux petites semaines sans proie, Lily-Rose était au bord de la crise de nerfs.

Son regard ambré se porta sur la petite boule de poils noirs ronronnant paresseusement à côté de son ordinateur. Le monde semblait comme son chat. Endormi. Une grosse fourrure se préparant à l'hibernation en attendant le printemps. Et c'était ce que Lily-Rose faisait elle-même en ce moment-ci.

Il en était assez. Il fallait qu'elle échappe à ce cocon attendrissant où elle se sentait tant en sécurité.

Fermant son ordinateur, embrassant affectueusement ce museau noir et humide, elle se dirigea vers sa commode. Elle empoigna hâtivement une robe couleur crème en laine épaisse, des collants opaques et des bottines à talons noirs. Se douchant rapidement, se brossant les dents et s'apprêtant le plus rapidement possible, elle quitta son studio comme si un incendie y avait été déclaré.

Lily-Rose : la quête du bonheur. [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant