ALABAMA
Je ne pouvais plus supporter les petits pois.
Missouri nous avait dégoté un petit loft, au premier étage d'un immeuble d'une rue peu fréquentée. Quand nous sommes entrées dans le bâtiment pour la première fois, j'avais cru qu'il s'agissait d'une blague ; le hall avait été entièrement ravagé par un incendie. Les murs étaient noirs, il y avait de la cendre partout et les escaliers semblaient sur le point de s'écrouler en un tas de poussière.
"C'est pour dissuader les gens de venir. L'étage est beaucoup mieux.'' avait dit Missouri. Et, effectivement, ça n'avait rien à voir. Des aspérités ça et là parsemaient la pièce, mais on pouvait y vivre décemment. Missouri avait même laissé une réserve de boîtes de conserve à notre disposition.
Ça faisait donc cinq jours que Nevada et moi menions une existence tranquille, interrompue seulement par des coups de feu lointains. Pourtant, il y avait un souci : ces petits pois. Ils étaient horriblement mauvais.
Nevada ne les aimait pas non plus, elle s'en plaignait à chaque repas — enfin, elle se plaignait toujours de tout et de n'importe quoi. Mais il fallait se rendre à l'évidence : nous ne pouvions plus continuer ainsi. Je devais me rendre au Centre pour renflouer notre réserve de nourriture, aussi dangereux que cela pût paraître.
Curieusement, ça tracassait ma petite sœur. Elle, qui d'ordinaire se fichait complètement de moi, qui aurait sorti le champagne le jour de ma mort, se souciait de mon sort. Elle essaya de me dissuader de partir.
« Tu ne devrais pas y aller. Ça craint. »
« Alors comme ça, on s'inquiète pour moi ? » demandai-je pour me moquer.
Je voulus lui ébouriffer les cheveux, mais elle m'évita, repoussant ma main. Je soupirai et saisis mon sac en toile qui traînait par terre. Il était sale, il y avait du sang séché dessus. Je grattai la tache marron avec l'ongle de mon pouce pour l'éliminer.
Nevada reprit la parole.
« Je me fiche de toi. Mais, si tu ne revenais pas vivante, je n'aurais plus de serviteur. Ce serait très embêtant. »
« Ça me donne envie de mourir, juste pour avoir le plaisir de t'énerver, une dernière fois. »
Je lui tirai la langue, et elle leva les yeux au ciel. Pour les mimiques, on aurait vraiment pu croire que nous étions sœurs.
« Pourquoi ne vas-tu pas simplement dans l'immeuble d'à côté ? » poursuivit Nevada. « Il doit bien y avoir de quoi manger. »
C'était une question qu'elle m'avait déjà posée cent fois depuis ce matin. Ça m'irrita ; la patience n'était pas vraiment mon fort, je réagissais souvent au quart de tour.
« Parce qu'il n'y aura que des légumes en pot, et que j'en ai ras-le-bol de manger quatre misérables cuillerées par jour de la même chose tout le temps ! » m'énervai-je.
Je soulevai mon bras et reniflai mon aisselle. Je puais la transpiration. Ma visite au Centre serait l'occasion de changer de vêtement.
« Tu ne tiendras pas longtemps face au Maelstrom. T'es trop maigre. »
Je me dirigeai vers la cuisine, ouvris le premier tiroir que mes mains rencontrèrent et en sortis un couteau. Il n'était pas trop mal aiguisé, il ferait l'affaire. Je regagnai le salon, et l'élevai sous le menton de ma petite sœur, un sourire mesquin aux lèvres.
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UPSURGE
Science FictionUpsurge est un programme inventé par les plus éminents esprits du siècle. Tous partagent le même but : purifier ceux qui ont été salis. Nettoyer la souillure des États-Unis. Vous êtes cette souillure. Vous avez vécu dans la misère, le vice et la dé...