Décembre. Alors que le monde dormait encore et que la Lune éclairait le ciel d'encre dans la nuit calme d'une campagne lointaine. Un silence profond régnait. Tout semblait désert, sauvage. Mais là-bas, sur un petit sentier en terre battue, une femme courait. Elle courait, aussi vite que ses jambes le lui permettaient, car elle devait y arriver avant le jour. Son visage était encore invisible, malgré la clarté blanchâtre du plus petit des luminaires. Le petit chemin sur lequel elle trottinait déboucha bientôt sur une grande grille. Elle parut vouloir l'escalader, mais renonça rapidement. Elle posa ses mains transies de froid contre les barreaux de fer forgé et repris sa respiration. Puis elle observa, enfoncé dans un grand parc entre sapins et hêtres, un bâtiment sortant de l'habituel.
C'était un gigantesque édifice, qui avait été construit il y a si longtemps que pour tous ceux qui le connaissaient, il avait toujours existé. Disposé en U, parfaitement symétrique et orné de hautes tourelles à chaque extrémité, le bâtiment arborait un air sombre concordant avec le caractère de sa propriétaire, la directrice de l'orphelinat-pensionnat Ste Agnès. Des rangées de fenêtres droitement alignées se tenaient sur trois étages, le toit était en ardoises sombres. Il était entièrement composé de pierres grises et sales recouvertes pour la plupart de mousse qui le rendaient très impressionnant , mais aussi sévère et funèbre.
Alors, avec d'infinies précautions, la femme sortit un petit paquet du dessous d'une ample cape de laine. Elle l'ouvrit partiellement et entre les mouchoirs et bouts de draps, apparut un petit visage rond aux joues et au nez roses. La petite fille dormait paisiblement d'un sommeil d'enfant. Elle avait de beaux cheveux châtain clair, un grand sourire éclairait son visage. De ses yeux clos ressortait un calme en apparence sans fin. Elle dormait.
Alors, la femme posa un dernier baiser sur son front et s'en fut.* * *
Treize ans plus tard, Sophie ouvrait soigneusement un cadeau d'anniversaire, le premier que la directrice de l'orphelinat consentait à lui offrir. Un balai. Vieux en plus. Elle soupira. Ce balai, elle le reconnaissait. Cela faisait onze ans qu'elle faisait le ménage avec. Elle supposa que Mme Vatibois, la directrice, devait trouver cela amusant.
Elle était à présent maigre, sous sa robe rapiécée et rouge pâle, si on regardait bien. Tout éclat de joie était absent de ses yeux bleu ciel. Elle semblait infiniment triste . Ses cheveux châtains négligés pendaient, filasses, derrière son dos voûté par la fatigue . Elle voulait seulement partir. Très loin. Et ne jamais retourner dans cet endroit où elle se considérait comme prisonnière, sous les mauvais traitements de la directrice. Un endroit où elle se sentirait chez elle, où elle serait heureuse et aurait des amis et peut-être, un mari et des enfants plus tard. Voilà ce qu'elle souhaitait le plus au monde. Mais elle frissona et s'interdit de pareilles pensées. La rue était froide et sans pitié pour une jeune fille comme elle. Il était inutile de rêver à des choses qui resteraient à jamais impossibles.
Un jour, ou plutôt une nuit, elle avait rêvé que de futurs parents venaient l'enlever de cet orphelinat réservé aux filles. Ils avaient regardé d'un air hautain la directrice et elle était partie avec eux, sans se retourner, main dans la main en pensant à la vie heureuse qui l'attendait. Mais cela ne s'était jamais produit et en attendant, elle n'avait pas d'autre choix que de rester la domestique-non-payée-à-temps-plein de la directrice et des pensionnaires. Certaines étaient des orphelines que leurs parents ou proches refusaient de prendre en charge, d'autres des enfants placés ici pour leur scolarité.
Mais aucune, à part Sophie n'avait été retrouvée sur le pas de la porte du manoir, sans personne pour dire qui elle était et pourquoi elle venait dans cette maison. Du moins, c'était la version que servait la directrice à Sophie depuis sa plus tendre enfance, et ce ne serait pas la jeune fille qui oserait ouvertement remettre ses dires en question... Elle s'était d'ailleurs elle-même choisie un prénom à l'âge de six ans, la directrice ne se préoccupant pas de lui en trouver un.
Depuis sa naissance, Mlle Vatibois avait fait d'elle absolument ce qu'elle souhaitait.
![](https://img.wattpad.com/cover/75509125-288-k511611.jpg)
VOUS LISEZ
Les Orphelines d'Esphalie
General FictionSophie est une adolescente vivant dans le royaume lointain d'Esphalie, près de la capitale, Antigo, où se mêlent ordre et anarchie, richesse et pauvreté, justice et corruption... Elle n'est de sa vie jamais sortie de l'enceinte de l'orphelinat Ste...