Le départ fut donc décalé d'une semaine, le temps que Louise et Sophie complètent leur attirail afin de pouvoir emmener Cécile avec elles. En attendant, elles lui ordonnèrent de se tenir prête à partir et de préparer un petit sac avec quelques vêtements. Tout, petit, avaient elles précisé. Minuscule, en fait. Le minimum vital.
Cécile ne dormait quasiment plus, surexcitée à l'idée de partir. Elle n'écoutait plus le moins du monde en cours, ses notes atteignaient des sommets abyssales. Mais elle s'en fichait. Après tout, pourquoi se fatiguer à apprendre des leçons alors que l'on va s'en aller de l'école à tout jamais d'ici quelques jours? A la place, elle passait son temps libre à faire et refaire son sac, ajoutant et enlevant sans cesse toutes sortes de choses de son bagage. Elle avait résolu d'emporter avec elle un ouvrage qu'elle aimait beaucoup, un livre qui s'appelait L'encyclopédie des plantes qu'elle ne se lassait pas de lire et dont elle aimait tout particulièrement les images magnifiques et leurs détails finement dessinés. D'autre part, elle se moquait maintenant des brimades dont elle était victime et subissait avec calme les injures en songeant que jamais elle ne se conduirait de cette façon avec qui que ce soit. C'était trop méchant.
Le lendemain matin, elle se réveilla avec un sentiment de fraîcheur inattendu. Elle avait les lèvres sèches et collées. Elle se les humecta et pensa joyeusement à ce qu'elles signifiaient. Pour la première fois depuis des années, elle n'avait pas eu le sommeil agité, aucun cauchemar n'était venu troubler son sommeil. Elle savoura le plaisir d'avoir bien dormi et s'étira lentement pendant que la fille qui dormait à côté d'elle s'asseillait sur son lit en ronchonnant. Elles ne s'étaient jamais (ou presque) adressées la parole et comme Cécile ne voyait aucune raison de commencer, elle l'ignora de son mieux. Puis elle s'habilla en vitesse avant de descendre pour le petit déjeuner.
Pour la dernière semaine, elle avait décidé de ne pas aller voir ses amies à la cuisine, considérant qu'elles devaient avoir suffisamment de travail avec tous les préparatifs. Elle fit un discret coucou à Sophie quand elle passa servir la première table et essaya d'attraper un morceau de croissant parmi toutes les grandes filles qui ne se souciaient pas de savoir si elle avait eu à manger ou pas. Par bonheur, elle réussit à en attraper un bout et le dégusta avec délice. Elle sortit de table la première et de glissa en dehors de la salle à manger. Elle marcha dans les couloirs encore déserts et après avoir récupéré son sac de cours dans sa chambre arriva devant la salle de classe. Elle s'assit près de la porte et sortit un livre. La petite Princesse. C'était l'histoire d'une fille inscrite dans un pensionnat, mais lorsque son père disparaît à la guerre, elle doit devenir servante à cause de la directrice qui la déteste (pour sa part, Cécile aurait bien aimé pouvoir faire pareil pour rejoindre Louise et Sophie! ). Mais évidemment, le récit finissait bien: elle retrouve son papa et va vivre avec lui et son amie dans une jolie maison. Et la méchante directrice est renvoyée. Cécile adorait cette histoire. En fait, elle concentrait à elles seule tous les rêves de la petite fille, et elle ne se lassait pas de la lire. Mais ce livre, elle avait du se résoudre à le laisser au pensionnat quand elle partirait. Malheureusement. Mais ses amies avaient bien précisé: le minimum vital.
Et pas question de les décevoir.Elle ouvrit donc son roman au chapitre 3, quand la petite fille découvre que son père a disparu. Mais elle avait à peine lut quelques lignes que les autres débarquèrent bruyamment. Quelqu'un lui donna un coup sur la nuque, sans doute involontairement, et elle leva la tête. Les 24 petites filles de la classe de neuvième s'étaient rassemblées en troupeau sur le pas de la porte, en attendant la professeur d'anglais, Mme Mac Phee, laquelle était très tolérante. Cécile l'aimait bien, parce qu'elle était vraiment gentille avec tout le monde. Même elle.
Se rendant finalement compte que jamais elle n'arriverais à lire quoi que ce soit dans ces conditions avec le brouhaha ambiant qui régnait, elle posa à regret son livre et s'apprêta à se relever. C'est alors que Malika fit son apparition. Elle tenait lieu de surveillante et était très rigoureuse sur les règles, voire maniaque. La silence se fit instantanément dans le couloir et toutes les filles se bousculèrent pour se mettre en rang par deux contre le mur. Cécile se sentit alors écrasée et eut la sensation d'être écrabouillée sous un poids lourd chargé de blocs de ciment. Sans compter que si elle ne se relevait pas dans la seconde, Malika ne se priverait pas de lui infliger une retenue avec un "travail d'intérêt général", ce qui d'après la grosse dame relevait seulement du bien être de l'orphelinat. Comme par exemple nettoyer les toilettes avec sa brosse à dent, tout en sachant qu'on n'en changerait pas avant la fin de l'année scolaire. Les seules qui n'avaient pas à craindre ce genre de chose étaient les pensionnaires à temps partiel, celles qui n'étaient pas orphelines.
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Les Orphelines d'Esphalie
Художественная прозаSophie est une adolescente vivant dans le royaume lointain d'Esphalie, près de la capitale, Antigo, où se mêlent ordre et anarchie, richesse et pauvreté, justice et corruption... Elle n'est de sa vie jamais sortie de l'enceinte de l'orphelinat Ste...