Chapitre 3.

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" Il y a quelqu'un ? "

Louis sursauta. Complètement perdu dans ses pensées, il ne savait déjà même plus depuis combien de temps il était ici. Tout paraît plus long, plus ennuyeux, plus glacial par ici. Le temps paraissant s'étirer le ramenait à sa propre situation d'homme pressé qu'il avait longtemps été. Il avait tant aimé quand les choses allaient vite, quand les gens s'agitaient, quand le vent s'invitait. Quand les choses traînaient en longueur, qu'elles lancinaient, qu'elles s'attardaient, très vite Louis se lassait, et prenait irrémédiablement la fuite.

Comme il l'avait fait douze ans plus tôt.

Il n'avait pas choisi le sud par dépit. Il y avait suivi quelqu'un. Avec qui ça avait tourné court. Mais il avait su rebondir, et saisir l'opportunité de s'y installer définitivement. La porte d'entrée de chez lui était bloquée par trop de secrets, alors il avait emprunté cette voie comme une issue de secours. À 24 ans, il était parti sans regrets, avec pour seul objectif de mettre le plus de distance possible entre sa famille et lui.

Dans ce qui semblait être plus un râle qu'autre chose, Louis reconnut la voix de son père.

" Oui Papa, c'est moi.

- Fabien ?

- Non, c'est moi. C'est Louis. "

Aucune réponse ne se fit entendre. Tout était effroyablement silencieux. Louis commençait vraiment à greloter, mais le froid n'en était plus la seule cause. Hésitant, il avança encore à travers le long couloir qui le menait à la chambre de son père, où même la pendule murale, dont le cliquetis incessant cognait déjà à l'époque son tympan d'adolescent, acteur invisible qui bafoue des solitudes, restait ostensiblement muette.

Devant la porte de sa chambre, son corps tout entier se raidit. Il appréhendait plus que jamais la réaction de son père. Et à juste titre : il ne l'avait pas revu depuis presque deux ans, pendant lesquels toute excuse fut donnée pour ne pas avoir à remonter... Il avait prétexté des problèmes de voiture ou d'argent. Il s'était inventé un emploi comme journaliste dans une gazette locale pour expliquer qu'il n'avait pas de vacances. Il avait même profité des mouvements de grève de la SNCF.

« Moi aussi je suis déçu, mais je n'y peux rien. Mon train est annulé »

Louis avait fait le tour des excuses pour ne pas avoir à faire face à cette réalité qu'il avait laissée derrière lui, et qui, aujourd'hui, se trouvait derrière une simple porte close.

Il reprit son souffle, et se décida enfin à frapper. Son poing était lourd et franc, comme pour cacher la faiblesse qui le statufiait. Personne ne répondit. Fronçant les sourcils, il frappa de nouveau, encore plus fort.

« Papa ? »

Mais toujours rien.

Louis entra alors dans la chambre, et vit son père assis sur le lit, regardant par la fenêtre, semblant attendre quelque chose qui ne viendrait jamais. Il s'avança vers lui, tendant le bras comme pour atteindre cet homme enfin une fois, se délivrant de ce qui lui paraissait être un mirage dans le brouillard de sa mémoire.

En entendant le plancher craquer, Marcel se retourna, dévisageant son fils comme s'il le voyait pour la première fois. Ses traits étaient tirés, et Louis remarqua qu'il avait énormément maigri. Son épaisse tignasse blanche recouvrait le haut d'un visage enfoui dans ses épaules, fatigué et ridé, bien plus que dans les souvenirs de Louis. Ce dernier eût le cœur serré en s'apercevant qu'il revenait vers un homme qu'il ne reconnaissait plus, et se sentit presque immédiatement coupable de ne pas être venu le voir plus tôt.

Marcel regarda son fils par deux fois. Louis voulut lui sourire, mais son intention fût tuée dans l'œuf par un accueil plus que glacial.

" Ah. C'est toi. Qu'est-ce que tu viens faire ici ? " lança Marcel sèchement.

Le Syndrome CronosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant