Chapitre 9.

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Louis et Fabien, assis auprès de leur père, se moquaient en voyant les silhouettes de l'assistance se lever de leur tablée pour enchaîner des pas de danse que l'alcool leur faisait systématiquement rater. D'humeur à se laisser porter par l'ambiance environnante, les deux hommes paraissaient s'entendre comme jamais auparavant, et riaient de tout et rien, rattrapant sans nul doute des années d'ignorances imbéciles. Seuls dans un monde qu'ils cherchaient à reconstruire, ils ne voyaient pas alors que les yeux se braquaient sur eux, faisant enfler les rumeurs que seul un village qui s'ennuie peut connaître. Le retour des deux frères avait ravivé les souvenirs enfouis, que personne n'ignoraient, mais que tous taisaient.

" - Regarde-la un peu celle-ci, comme elle se dandine.

- Ne fais pas trop le malin, je te rappelle que tu es sorti avec elle au lycée.

- Quoi ? Elle ? N'importe quoi !

- Je t'assure que si. Regarde mieux.

- Mais... Non ?! C'est ???

- Oui, oui, c'est bien Marie Lacroix.

- Qu'est-ce qui lui est arrivé ?

- Elle est comme nous. Elle a pris de l'âge. Et de la bouteille aussi visiblement. "

Les deux frères s'esclaffèrent, d'elle comme des autres, enivrés et heureux.

" - Fais attention que ça ne t'arrive pas à toi non plus ! " persifla Fabien. Sa réflexion se voulait piquante, mais révélait une vraie inquiétude quant à l'addiction de son frère. D'ailleurs, ce dernier le regarda du coin de l'œil, et lui sourit, comprenant l'allusion.

" - C'est la première fois que je bois depuis plusieurs jours.

- Je sais. Je suis bien plus observateur que tu ne le crois. Et ça me fait plaisir pour toi.

- Merci."

Ils continuèrent leur conversation sans apercevoir l'homme qui était assis en face, de l'autre côté de la place, et qui les regardait, ne perdant pas une miette de la scène.

" Maintenant qu'on est à l'heure des confidences, tu comptes m'expliquer un jour comment les choses se sont passées avec Cécile ? " osa Louis. La quiétude du moment lui avait donné l'assurance nécessaire pour poser la question sans craindre que son frère ne s'emporte une nouvelle fois.

" - Il n'y a pas grand-chose à expliquer, tu sais. Elle travaillait au funérarium qui s'est occupé de maman, et nous avons lié connaissance comme ça. Elle a souhaité se réorienter, car elle en avait assez de s'occuper des morts. L'infirmier de papa venait de partir, c'était l'occasion de lui proposer le poste.

- J'ignorais que tu l'avais connue avant qu'elle soit engagée.

- Tout est une question de hasard. Une chose en entraînant une autre, nous nous sommes rapprochés. Bien plus que je ne l'aurais imaginé.

- Je commence à comprendre. "

Fabien sentit son cœur se tordre de mentir à nouveau à son frère. Mais il ne pouvait décemment pas lui avouer qu'il ne l'avait installée chez eux dans le seul but de la garder à l'œil, tandis qu'elle exerçait sur lui un odieux chantage.

En promenant à nouveau son regard sur les danseurs, Louis aperçut l'homme d'en face, et le dévisagea, s'y prenant à deux fois, embué par les pintes de bière qu'il avait déjà avalé. Il frissonna.

" - Fabien. Je suis fatigué. On rentre.

- Quoi, déjà ? Mais non ! Pour une fois qu'on s'amuse !

Le Syndrome CronosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant