Chapitre 14

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" - Maman, Papa il dit encore des bêtises, tu sais.

- Oui mon cœur, je le sais.

- Il est encore tout drôle.

- Ne t'inquiète pas. Il est allé faire dodo. Il est juste très fatigué.

- D'accord. Bonne nuit maman.

- Bonne nuit mon ange."

Annie borda sa fille, l'embrassa sur le front, et sortit de la chambre en éteignant la lumière.

Elle traîna les pieds jusqu'à sa chambre, où elle avait aidé son époux à se coucher, et entrouvrit la porte pour le regarder.

Elle n'en pouvait plus.

Il rentrait chaque jour plus mal que jamais. Quand la dépression le frappa, elle l'épaula tant qu'elle put. Aucun des mots qu'elle prononçait ne semblait plus le réconforter. Même la naissance de leur fille ne le garda qu'un temps souriant. Alors il alla chez un spécialiste. Et les médicaments aidèrent. Du moins au début. Car ils devinrent rapidement une addiction, et ses larmes moroses se transformèrent en crises d'angoisse, ou de colère, voire de violence. Il ne leva jamais la main sur elle. Il s'y prenait autrement : les mots étaient ses poings.

Alors elle n'en pouvait plus. Annie se battait pour sa fille, mais elle était épuisée. Elle tentait de lui offrir ce qu'il y avait de mieux, mais le faisait maladroitement. Alors, lorsque celle-ci devint femme à son tour, elle avança dans la vie sans vraiment faire la distinction entre ceux qui l'aimaient, de ceux qui se servaient d'elle. Même lorsqu'elle se maria, elle continua de douter chaque jour de l'amour de son mari, de ses proches, de sa belle-famille. Une fois devenue femme, Karine n'avait plus le sens commun des sentiments, et cachait ses blessures derrière une trop grande voix, tissant autour d'elle la toile de l'insécurité, qui la réconfortait dans l'illusion d'un bonheur auquel elle faisait mine de croire.

"Rentre vite te mettre au chaud. Tu as vraiment une sale tête. "

Avec le temps, Fabien s'était habitué au ton vindicatif de son épouse, et ne prenait même plus la peine de répondre à ses réflexions. Il savait qu'au fond, c'était bien la seule manière qu'elle avait d'exprimer ses sentiments, à défaut de savoir y mettre les formes.

" - Donne-moi tes affaires, tu es trempé.

- Pas étonnant avec ce qu'il tombe.

- Et ça n'arrête pas depuis ce matin.

- J'ai pu le voir, oui. "

Il remercia Karine qui lui tendait une serviette, et s'ébroua près du feu qui crépitait dans la cheminée. Le parfum boisé embaumait toute la pièce, et inspira instantanément à Fabien un bien-être qu'il n'avait pas ressenti depuis plusieurs jours qu'il veillait sur son père. Il était chez lui. Près des siens. Et chaque jour qui passait lui permettait de réaliser combien tout cela lui manquait.

" - J'imagine que tu ne m'as pas fait venir pour parler de la pluie....

- Évidemment non. " répondit-elle en faisant rouler ses yeux.

Tous deux se regardaient avec une méfiance qui trahissait l'incompréhension de l'autre. Ils s'étaient empêtrés dans des habitudes qui finirent par tuer la passion des premiers jours, et marquer jusqu'aux échanges qu'ils entretenaient, aussi bien dans la sphère publique que dans l'intimité. Tout était devenu mécanique et terne, et chaque jour n'était qu'une fatigue de plus qui s'affichait sur le calendrier de leur mariage raté. Leurs enfants pâtissaient de leurs sautes d'humeur, et chacun exprimait le rejet à sa manière. Le plus grand, déjà adolescent, était bagarreur et arrogant. La seconde était capricieuse et faible, tandis que le benjamin, du haut de des 5 ans, ne prononçait toujours pas un mot.

Le Syndrome CronosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant