Chapitre 4

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Lorsque Néïma ouvrit à nouveau les yeux, elle se trouvait toujours au milieu de la forêt, ses mains dans celles de sa créature. Cependant, elle n'était plus perdue. Bien au contraire. Un plan net et précis du paysage avait fait irruption dans son cerveau. Comme si elle avait mémorisé une carte en papier durant des heures. A présent, la jeune femme n'avait plus aucune difficulté pour retrouver le chemin de sa demeure.

- Comment as-tu fait ça ? Je veux dire... comment as-tu pu me transmettre le plan de la ville et de ses alentours ? s'étonna la demoiselle impressionnée par les capacités de la créature.

- Je te l'ai dit, argua la créature, nous pouvons communiquer par la pensée. Je suis une part de toi.

Cette dernière phrase arracha un frisson à Néïma. Partager ses songes avec d'autres personnes ne lui plaisait guère. Pourtant, elle n'avait d'autre choix que d'accepter la situation.

Soudain, Néïma prit conscience qu'elle allait devoir traverser toute la ville aux côtés de cet être étrange et incongru, au vu et au su de tous. Une peur panique s'empara d'elle. Un instant, elle songea à abandonner sa création ici, au milieu des troncs et des fougères. Néanmoins, la demoiselle ne put s'y résoudre. Un pincement au cœur fit son apparition lorsqu'elle s'imagina disparaître en la laissant derrière elle. Même si l'apparence d'Elin défiait l'entendement, la jeune femme tenait étrangement à elle.

- Bon... il va falloir dissimuler tout ça... dit Néïma en désignant les cornes et les sabots de la créature.

Elin resta de marbre et ne critiqua pas la décision de sa créatrice. La jeune femme déplia le tissu constituant le toit de sa tente et drapa sa création dedans.

- Je sais qu'il fait extrêmement chaud sur cette planète mais je crains que tu ne doives porter cette cape improvisée jusqu'à ce que nous arrivions dans ma chambre.

Elin fit un signe de tête à sa comparse pour lui signifier que tout irait bien. Loin d'être rassurée, Néïma prit la tête de la file et, faisant fi des gouttes de sueur qui dégoulinaient dans son dos, accéléra la cadence. Ses pensées tournaient à plein régime. Déjà qu'elle était une des parias du village, tellement différente qu'elle ne comptait aucun ami proche à part quelques hypocrites, mais en plus elle avait un don. Un don aussi terrifiant que fortifiant. Il ne fallait pas que les autres s'en rendent compte. Elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour que ses capacités surnaturelles demeurent dans l'ombre et n'entachent pas le peu de réputation qu'elle s'était forgé.

Les deux silhouettes eurent tôt fait de laisser la forêt derrière elles pour déboucher sur une ville émergeant du sommeil. Les rideaux commencèrent à s'ouvrir, laissant entrevoir l'intérieur de maisons richement décorées. Néïma ravala sa jalousie devant tant de luxe. Elle n'arrivait pas à croire que certaines personnes puissent étaler leur argent au grand jour alors qu'elle et sa mère vivaient dans un appartement du centre-ville, tellement semblable aux autres qu'elle-même pourrait sonner à la porte du voisin sans s'en rendre compte. La jeune femme avait appris à compter jusqu'à la moindre pièce et à économiser la plus petite somme d'argent afin de pouvoir garder la tête hors de l'eau en cas de problème. Rageuse, elle se mit à courir et Elin fit de même, en veillant bien à garder la couverture sur sa tête pour camoufler ses différences. La créature ressentait la tristesse de la demoiselle et son dégoût envers cette société qui lui rendait la vie plus dure qu'elle ne devrait l'être.

Néïma et Elin dépassèrent vivement le quartier riche et se retrouvèrent face aux façades grises et décrépies réservées à la population pauvre. Elles se remirent à marcher à un rythme normal pour ne pas éveiller le soupçon des travailleurs qui sortaient de chez eux à cette heure matinale. Les deux jeunes filles slalomèrent entre les bâtiments jusqu'à ce que la jolie rousse s'arrête au pied de son immeuble et appelle l'ascenseur qui la conduirait au dernier étage, là où se situait leur appartement exigu. L'appareil ne fut pas lent à arriver et les deux silhouettes purent s'engouffrer à l'intérieur. Les portes se refermèrent derrières elles, les dissimulant à la rue. Elin sentit la machine se mettre à bouger sous ses pieds et faillit paniquer, son instinct animal reprenant le dessus. Cependant, en croisant le regard serein de Néïma, son pouls se calma instantanément. La montée ne dura que quelques instants et les battants s'ouvrirent bientôt, dévoilant l'intérieur de l'appartement que la demoiselle partageait avec sa mère. La jeune femme arrêta de respirer en pensant que sa créature partirait en courant en sens inverse en découvrant l'espace exigu qui leur était réservé mais Elin, au contraire, posa une main réconfortante sur l'épaule de sa créatrice et la força à pénétrer à l'intérieur, lui ouvrant la voie. Néïma passa les lieux en revue et soupira de soulagement en constatant l'absence de sa génitrice. Loin de se satisfaire du calme ambiant, la jolie rousse se précipita vers sa chambre et ferma la porte de la pièce dès que sa créature entra à sa suite. Elin put enfin se débarrasser du drap qui la recouvrait et embrassa la pièce du regard. Une fois qu'elle se fut approprié les lieux, son regard se tourna vers la propriétaire des lieux, occupée à fourrer des affaires dans un sac de toile.

- Ecoute Elin, loin de moi l'idée de vouloir te fausser compagnie mais je dois partir immédiatement. Je suis déjà en retard pour mon premier cours et ça ne va pas plaire à mon professeur. Fais tout ce que tu veux mais ne quitte cette pièce sous aucun prétexte, même si tu entends du bruit dans la chambre adjacente. Dès que je reviens, je passe te voir mais n'ouvre à personne et si ma mère venait à passer la tête par l'embrasure de la porte, cache toi. Tu as bien compris ?

Elin hocha affirmativement la tête avant que Néïma ne quitte l'appartement précipitamment. La créature se pencha pour regarder par la fenêtre. Elle eut juste le temps d'apercevoir la tignasse rousse de son amie avant que celle-ci ne tourne au coin de la rue. Déjà, l'ennuie pesait lourd sur les épaules. Avisant le lit qui trônait au centre de la pièce, Elin s'y laissa tomber et sombra dans un sommeil sans rêve.

Au même moment, Néïma entrait dans une salle de classe bondée. Comme à l'accoutumée, toutes les têtes se tournèrent vers elle et le visage furibond de son professeur de langue la fusilla sur place.

- Inutile de vous dire que vous me décevez une fois de plus par votre attitude, Mademoiselle Piria.

La jolie rousse baissa la tête, fixant ses chaussures, et prit place sur la dernière chaise libre en essayant de se faire la plus petite possible. Son professeur soupira face à son effacement mais ne protesta pas et la laissa tranquille. La jeune femme, qui ne s'était toujours pas remise de sa soirée bien arrosée, sombra dans un sommeil léthargique, bercée par la voix de l'instituteur.

Néïma ne sut pas combien de temps elle dormit ainsi. Des hurlements de terreur la sortie brusquement de ses rêves. La demoiselle ouvrit les yeux sur une classe en désordre. Des bancs étaient renversés et les élèves se bousculaient pour sortir du local. Néïma était la seule personne imperturbable de la pièce. Les yeux embués de sommeil et le cerveau en compote, elle ne comprenait pas pourquoi tout le monde réagissait ainsi. Ce ne fut que lorsqu'elle tourna la tête qu'elle comprit. Deux créatures immondes se tenaient derrière sa chaise, leurs regards dardés sur elle.

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On commence à rentrer dans le vif du sujet, Elin vous plait-elle ?

NémésiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant