Chapitre 3 - Ottawa

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Ottawa


Je brosse mes cheveux bruns et après mainte et mainte tentatives pour les discipliner en une coiffure ne serait-ce qu'un tant soit peu élégante, j'abandonne et les laisse retomber sur mes épaules. Les pointes m'arrivent aux seins et mon ombré est dégueulasse. Je devrais vraiment faire un petit tour chez le coiffeur mais je ne trouve jamais assez de courage en moi pour m'y rendre. Pour une simple coupe, cela dure des heures, il faut raconter sa vie pour faire la conversation et s'il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c'est raconter ma vie. Surtout qu'il n'y a rien à raconter. Je souligne mon regard et mes yeux marrons d'un trait d'eye-liner brun et décide de ne pas mettre de Khôl. J'allonge cependant mes longs cils noirs et je mets un rouge à lèvres mat de couleur cerise. C'est bon, ça ira bien. Mon fond de teint masque la plupart de mes imperfections et ce n'est pas comme si j'allais rencontrer le grand amour de ma vie ce soir. Cela fait bien longtemps que j'ai arrêté de chercher, au plus grand désespoir de ma famille. Mon problème ? Je suis trop renfermée sur moi-même. A vingt-huit ans, je n'attends déjà plus rien. Boulot – métro – dodo. Il n'y a pas de métro à Riom, ce qui retire déjà une activité très prenante à cet emploi du temps si chargé. Je sais que je suis jolie, je ne suis pas aveugle. Mais j'ai très mauvais caractère et ma mère me dit souvent que je tiens trop à ma tranquillité pour m'emmerder avec un homme. Tout à fait vrai. Mais parfois, vieillir seule me fait peur. Rarement, mais ça m'arrive. Mais peu importe. Ce soir, c'est une soirée entre filles et j'ai déjà dix minutes de retard. Je vérifie mon reflet une dernière fois dans le miroir. C'est parfait. Ma robe noire simple et cintrée est idéale pour ce soir et je refuse souvent de mettre des talons. Je ne suis pas grande, mais pas petite non plus. Je n'en ai jamais vraiment eu l'utilité, et puis ça fait mal aux pieds. De toute façon, il est inutile de me la jouer. Tout le monde s'en fout. Mes Bensimon noires aux pieds, j'attrape mon sac rouge qui fait contraste avec le restant de ma tenue et je quitte mon appartement.

Je gare ma Seat jaune vieux canard là où je le peux, le plus près du centre-ville et de l'adresse du restaurant, mais il me faut marcher environ cinq minutes pour y arriver. Lorsque j'y suis finalement, il ne m'est pas difficile de repérer le regroupement de femmes qui glousse au coin de la rue. Elles sont toutes gentilles et elles m'ont invitée après tout, mais je ne sais jamais quoi leur dire. La plupart sont casées depuis des années, d'autres ont des enfants ou construisent des maisons. Ce sont des femmes qu'on qualifie de responsables et d'adultes. Et moi je fais quoi pour passer le temps ? Je traîne sur un ordinateur, seule. Lorsque je m'approche, je fais semblant d'être à l'aise et les salue vivement. Elles se retournent et me saluent à leur tour. Certaines sont accompagnées de leurs maris, incapable de leur lâcher le derrière pour une soirée. D'autres sont seules comme moi. Mes yeux se posent instinctivement sur un homme brun, grand et mince, puis sur Alice qui lui tient le bras comme si sa vie en dépendait. Dans un sens, peut-être n'était-ce pas totalement faux. Il ne faut pas être diplômé d'Harvard pour deviner que c'est son mari. Je suis attirée par ses yeux bleus perçants et je remarque ensuite une petite et fine cicatrice sur sa joue droite qui fait contraste avec la perfection de son visage. Quelqu'un a eu la main lourde ou il était très maladroit étant jeune – peut-être l'est-il encore. Alice a dû remarquer mon regard car elle capte mon attention.

- C'est vrai que tu n'as jamais rencontré Kieran, s'exclame-t-elle.

Je sens une touche de vantardise dans le ton de sa voix. On dirait Barbie et Ken. Deux êtres parfaits qui forment le couple parfait. Dégueulasse.

- Non c'est vrai, salut, Ottawa Masson, enchantée, dis-je avec joie.

Malgré la perfection de ma petite comédie, il me fixe avec attention mais il ne laisse paraître aucune humeur sur son visage, ce que je trouve plutôt étrange à vrai dire. Je crois qu'il n'en a absolument rien à foutre.

GravitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant