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Ottawa
Mes pas me guident jusqu'à ma voiture plus rapidement qu'il ne faut pour le dire. Je suis en larmes et je cherche désespérément mes clés dans mon sac. Je savais que je n'aurais jamais dû le laisser s'approcher aussi près de moi. Je suis même sûre qu'il a tout manigancé pour me briser par pure vengeance ou par pure distraction. La danse, l'arrivée d'Alice à ce moment-là puis l'humiliation chez lui. Cette fois-ci, c'est définitif, cet homme sort de ma vie. Je ne suis pas une poupée avec laquelle on peut jouer et disposer comme on le veut. J'ai trop de respect envers moi-même pour rentrer dans le jeu pervers qu'il s'amuse à jouer pour son plaisir. Si Alice ne savait pas que son petit-ami est un gros con, j'espère qu'elle en a eu la preuve ce soir. Je réussis finalement à sortir les clés de mon fichu sac en bazar et lorsque je sens une main se poser sur mon bras et exercer une forte pression, je la reconnais. C'est celle de Kieran et elle me laisse la même brûlure habituelle à chaque fois qu'il me touche. Il n'a pas besoin de parler pour confirmer que c'est lui et je le repousse violemment.
- N'me touche pas !
Ma prise s'est affaiblie et mes clés voltigent un peu plus loin avec la force de mon mouvement. Heureusement pour nous, il n'y a personne dans la rue. Cette scène est vraiment absurde et je n'ai pas du tout envie que nous finissions sur YouTube hashtag dispute de couple en pleine rue hashtag lol. Kieran relâche mon bras face à la vivacité de mon geste et c'est la bonne chose à faire s'il ne veut pas que je lui colle mon poing dans la figure. A vrai dire, je suis à deux doigts de le faire. Ça me soulagerait tellement... Je réfléchis maintenant à l'éventualité.
- Excuse-moi, murmure-t-il alors qu'il reste trop près de moi.
Ses yeux ne quittent pas les miens et son souffle est court. Même si c'est surprenant de l'entendre s'excuser de vive voix, je ne peux pas contrôler ma colère.
- En fait, tu ne sais faire que ça : jouer au con et t'excuser ensuite, en boucle ?
Mes larmes coulent silencieusement. Je suis sûre que je ressemble à une furie, si je ressemble encore à quelque chose bien évidemment.
- C'est bon ? Tu as eu ce que tu voulais ? C'est comme ça que tu voulais me voir ?
Ma voix est faible et enrouée, je ne la reconnais pas. Kieran, lui, me fixe sans détour. Il hoche la tête pour infirmer mes propos.
- Je ne sais pas ce que je veux. Je ne comprends pas.
Un rire nerveux s'échappe de mes lèvres et c'est en totale contradiction avec l'humidité de mon visage. Je passe spontanément ma main dans mes cheveux pour les repousser en arrière. J'ai l'impression qu'ils sont en bataille.
- Ça c'est sûr, j'avais remarqué. Mais je ne suis pas ton défouloir Kieran.
- Je sais.
Il a l'air réellement affecté mais je ne me laisse pas attendrir :
- Pourquoi tu te comportes comme ça avec moi ?
- C'est pas toi.
Sa voix n'est plus qu'un murmure et il fait un pas vers moi, je recule proportionnellement. Un peu plus tôt j'étais visiblement la source de son problème, et finalement non ? Il se contredit lui-même. Il ne sait plus où il en est. Et moi non plus.
- Si tu n'es pas satisfait de ta vie, change-s'en ou je ne sais pas, fais quelque chose, mais moi je n'y suis pour rien.
Ce que je lui dis semble attirer tout particulièrement son attention et il fronce légèrement les sourcils. La lueur dans ses yeux bleus est plus intense et plus sombre à la fois. Je n'arrive pas à savoir lorsqu'il est honnête et lorsqu'il ne l'est pas. Je pense que ce type est un menteur et un détraqué. Il a réussi à tromper Alice mais il ne me trompera pas moi. Kieran avance à nouveau et le peu d'air entre nous se charge en électricité. Ça recommence. Je peine à avaler ma salive. Mes pieds me guident en arrière mais mon dos frappe ma voiture. Soudainement, je ne peux plus reculer. Je suis coincée entre Bubeez et cet homme qui me fait perdre les pédales. Je pose spontanément ma main sur son torse pour l'arrêter dans son élan. Il ignore royalement mon geste de défense et attrape mon poignet pour le serrer entre ses doigts. Son contact me brûle à nouveau et je laisse échapper un soupir de ce que je crois être de la satisfaction. Il ne sait pas ce qu'il veut mais visiblement moi non plus. Je veux cet homme. A cet instant précis, je n'ai jamais autant voulu quelqu'un de toute ma vie. Je suis faible, je me sens faible. Kieran a fissuré ma détermination avec tant de facilité que j'en ai honte. Je me jette soudainement sur lui et mes lèvres rencontrent les siennes. Il laisse échapper un léger gémissement et je ne sais pas si c'est de la surprise ou bien l'émotion qui s'empare de lui. Je pousse un soupir de plaisir contre ses lèvres alors que contre toute attente il ne me repousse pas. Il décide même d'approfondir le baiser en glissant sa langue contre la mienne. Il me plaque totalement contre ma voiture et se colle à moi alors que son genou se cale entre mes cuisses. Je me sens petite face à lui, dans tous les sens du terme. Une décharge électrique remonte jusqu'au plus profond de mon abdomen et je pose ma main de libre sur sa nuque pour le maintenir au plus près de moi. Il continue de m'embrasser avec un mélange de rage, de passion et de désespoir. Je n'ai jamais ressenti ça auparavant. Je ne veux pas que ça s'arrête même si une partie de moi trouve ça douloureux. C'est si intense que mes genoux menacent de me laisser tomber à tout moment. Il relâche doucement mon poignet qu'il tenait toujours fermement mais c'est uniquement pour entrelacer ses doigts avec les miens. Ce geste est doux, en totale contradiction avec la façon dont il malmène mes lèvres. Kieran a trouvé un nouveau moyen de se défouler sur moi et je dois bien l'avouer, je le préfère très nettement à celui qui consistait à me dire des saloperies. Cela n'empêche pas que je me sens encore utilisée. Il m'utilise. Cette pensée me fait ouvrir les yeux pour observer Kieran qui s'est totalement abandonné à moi, je peux le voir, je peux le sentir. Je n'arrive pas à le cerner mais je sais que je ne peux pas laisser durer cette situation. Aussitôt que ses lèvres se seront détachées des miennes, tout reprendra son cours habituel. Je retrouverai pour seul souvenir de ce moment mon cœur brisé en mille morceaux. Je décroche mes lèvres des siennes comme je le peux et reprends mon souffle. Je me rends compte à quel point je peine à respirer en sa présence. Kieran, lui, ne remarque pas mon changement d'humeur. Il dépose des baisers sur mon menton puis laisse ses lèvres descendre jusqu'à mon cou. Mon cœur menace de sortir de ma poitrine. Je gémis de plaisir et laisse ma tête rouler spontanément sur le côté pour lui fournir un meilleur accès. Je ne vois pas comment il pourrait constater que je souhaite qu'il arrête si je me montre aussi réceptive. J'ai perdu le contrôle de mon corps et lui récupère l'usage de ses mains pour les poser à l'arrière de mes cuisses, près de mes fesses. Bientôt, il me porte pour caler mes jambes autour de sa taille et je les resserre par pur réflexe, croisant mes mollets derrière lui. Il est comme un fou, perdu dans sa passion, se laissant totalement déborder par la situation. Et j'en apprécie chaque seconde. Je me demande en constatant sa ferveur s'il ressent tout ça pour la première fois ou si c'est toujours comme ça avec lui. Mon esprit est embrumé alors que je sens la peau nue de mes cuisses frotter contre son jean. Je l'entends étouffer un grognement dans mon cou. L'une de ses mains caresse ma cuisse en remontant le tissu de ma robe et l'autre claque brusquement le toit de ma voiture. Je sursaute à peine. C'est comme s'il avait besoin de se tenir à quelque chose pour ne pas s'effondrer. Je crois qu'il a besoin de garder le contrôle. Ses lèvres ont rejoint les miennes et il s'immisce une nouvelle fois dans ma bouche, insatiable. J'ai encore changé d'humeur. Je ne veux pas qu'il arrête et je me demande s'il serait capable de me faire l'amour en pleine rue contre ma voiture. L'idée m'excite au plus haut point, peu importe les conséquences. Je n'aurais jamais cru Kieran capable de tant de passion et elle déteint sur moi. Mes mains jouent avec ses cheveux noirs et je les tire avec envie en resserrant mes poings. Je sens son érection contre moi et je regrette que mes clés soient au sol un peu plus loin. Je ne peux pas le faire monter dans ma voiture sans rompre ce moment et j'ai réellement peur de ce qui se passera lorsque nous le ferons. Je devrais l'arrêter mais j'en suis juste incapable. Je veux qu'il me prenne et qu'il prenne tout de moi. Je ne peux pas lui résister. Mais Kieran semble entendre ma supplique silencieuse. Il passe ses bras autour de moi, entre ma voiture et mon dos. Il me serre contre lui comme s'il avait peur que je m'en aille.
- Canada, soupire-t-il en posant son front contre le mien.
Dans ce moment intime, je me rends bien compte de la façon dont il m'a appelée. Il m'a surnommée ainsi et je ne peux rien y faire. Il observe mes lèvres avant de me voler un doux et court baiser. Nos souffles sont saccadés et nous sommes tous les deux en phase de récupération. Sa surprenante douceur me fait chavirer. Je sens mon abdomen se tordre d'impatience et je suis prête à reprendre le combat là où nous l'avons interrompu. Pourtant, ma conscience me crie de m'éloigner de cet homme pendant que je le peux encore. Je lutte contre mes hormones et décroise mes jambes autour de lui. A l'instant même où mes pieds touchent le sol, la réalité me rattrape. Je retire doucement mes mains de ses cheveux et les fais glisser jusqu'à ses joues pour maintenir sa tête contre la mienne un peu plus longtemps. J'aimerais le garder pour moi éternellement mais je sais que ce n'est pas possible. Je me lèche les lèvres puis les mords alors que je sens des larmes se former dans mes yeux. C'est un sentiment abominable de l'avoir si près et si loin à la fois. Kieran ne relâche pas son étreinte et me garde contre lui mais notre passion se dissipe. Nous sommes juste apaisés l'un contre l'autre. Puis la réalité le rattrape à son tour. Il me relâche avant de reculer de quelques pas. C'est brusque, sans préavis. Le vide. Nous nous fixons. Ses lèvres si fines sont d'un rouge vif à force de m'avoir embrassée et il semble chercher son souffle. Il est hésitant et n'a pas le courage de se retourner pour partir. Il m'observe, à quelques centimètres, puis quelques mètres de moi alors qu'il continue de reculer lentement. Je lis dans son regard le combat intérieur qu'il mène actuellement et je me retrouve encore plus pantelante, adossée à ma voiture qui me soutient et m'empêche de m'effondrer. Il porte ses doigts à ses lèvres et les frotte très légèrement. J'ai la sensation qu'il prend conscience de ce qui vient de se passer. Kieran trouve finalement le courage de se retourner pour me faire dos. Je le regarde repartir en direction de son appartement. Sans un mot. Je crois qu'il regrette déjà ce qui s'est passé entre nous. Je pense à Alice que j'ai lâchement trahie pour cet homme qui ne fait que jouer avec moi. Toutes les plus mauvaises pensées prennent le contrôle de mon esprit. Il arrive aussi bien à obtenir le pire que le meilleur de moi-même et je me sens honteuse. Je suis incapable de regretter de m'être jetée à son cou car j'ai aimé chaque seconde où cet homme m'a touchée. Ce que je regrette, c'est qu'il ne sera jamais à moi. En baissant mes barrières comme je l'ai fait, je me suis attachée à lui plus que de raison. Tout le plaisir s'est évanoui au détriment d'une douleur sourde. Qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ?
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RomantizmKieran est un trentenaire bien installé dans la vie mais avec un lourd passif qui l'empêche de s'investir émotionnellement dans quoi que ce soit. Pour maintenir une paix intérieure fébrile et bancale, il contrôle le moindre aspect de sa vie et reste...