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Kieran
Je m'empresse de sortir de son bureau avant de dire ou de faire quelque chose que je pourrais sévèrement regretter. En deux temps trois mouvements, je me retrouve installé devant le siège de ma voiture et je reprends enfin ma respiration. Je ne comprends même pas moi-même ce qui s'est passé. Je crois que je ne supporte pas cette femme plaintive et orgueilleuse. J'ai dû attendre tout le week-end pour pouvoir la revoir afin de m'excuser. Disons que ça ne s'est pas vraiment passé comme je l'avais imaginé. Dans mon esprit, et probablement dans celui d'Alice, nous devions prendre un café et apprendre à faire connaissance pour faire table rase de notre première rencontre. Quand j'allais lui annoncer qu'à la place j'avais provoqué une nouvelle dispute, je ne sais pas si elle pourrait me pardonner. Alice apprécie réellement Canada, elles pourraient devenir bonnes amies toutes les deux, ce qui à vrai dire m'inquiète. Pour une fois dans ma vie, je ne me fous pas de ce qui se passe autour de moi et je ne comprends absolument pas pourquoi. Je pensais que je culpabilisais de m'être mal comporté avec elle. J'attendais d'avoir la chance de m'excuser pour pouvoir oublier Canada et passer à autre chose. Visiblement, j'avais raté mon coup et je suis maintenant comme un idiot dans ma voiture. Je regarde ma montre. Il est huit heures trente et mon premier rendez-vous n'est qu'à neuf heures. Je suis en avance mais il faut dire que je devrais être en train de boire un café avec Canada à l'heure actuelle. Ma main se pose spontanément sur la poignée de ma portière puis je réalise mon geste et me fige. Tu en as assez fait pour aujourd'hui Kieran.
Sur mon tableau de bord, je décide d'appeler ma sœur alors que je conduis paisiblement jusqu'à mon cabinet. Ma poitrine est en feu. Je ne peux pas sortir le visage de Canada au bord des larmes de mon esprit et ma petite sœur est la seule personne à qui j'accepte de parler lorsque je suis dans un tel trouble. Elle décroche à la troisième sonnerie.
- Ça vient de te revenir ?
- Quoi ?
- Tu viens de te souvenir que tu as une sœur ?
Je laisse échapper un rire franc de mes lèvres.
- Je me disais bien que j'avais oublié quelque chose...
Aveleen a cinq ans de moins que moi. Elle est ce que j'ai de plus précieux sur cette Terre. Nous avons toujours été proches tout simplement parce que nous nous sommes toujours soutenus dans les épreuves de nos vies. Je nous ai toujours considérés comme seuls au monde mais je sais que Aveleen est plus sensible que moi.
- Tu as appelé maman ?
Et je la connais par cœur tout comme elle me connaît par cœur également. Il est vrai que j'ai tendance à l'appeler lorsque je suis en colère ou que je ressens des sentiments contradictoires que je ne réussis pas à démêler. Notre mère est la championne. Elle peut me mettre dans un état second en moins d'une minute et ma sœur est le signe de paix de nos vies à elle toute seule. Sa neutralité est déconcertante. Je ne comprends pas comment elle peut être aussi bienveillante alors que nous avons vécu la même histoire.
- Absolument pas, non.
Ma réponse laisse place à un silence court mais pesant.
- Quoi de neuf ?
Je hausse les épaules comme si elle pouvait me voir. Je ne sais même pas pourquoi je l'ai appelée mais sa voix me réconforte et apaise l'agitation en moi. Comme d'habitude.
- Pas grand chose, je vais travailler et je voulais te souhaiter bon courage pour ta journée.
Je la sens hésitante au téléphone puis elle finit par répondre :
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DragosteKieran est un trentenaire bien installé dans la vie mais avec un lourd passif qui l'empêche de s'investir émotionnellement dans quoi que ce soit. Pour maintenir une paix intérieure fébrile et bancale, il contrôle le moindre aspect de sa vie et reste...