TINSEA

PARTIE 2

Tinsea. Mon nom est Tinsea. Je suis née en Éthiopie le 24 Avril 1998. Mon nom est Tinsea. Mon père s'appelle Yared et ma mère Débora. Mon nom est Tinsea. Ma petite sœur se nomme Fiker. Mon nom est Tinsea. Ces phrases résonnent dans ma tête depuis cinq jours. Je suis folle. Il n'y a plus rien. Tout ce que j'ai connu a disparu. Tout. Les terres de mon enfance sont méconnaissables. Le village a disparu. Les animaux sont plus nombreux et radicalement différents de ceux que j'ai connu. Ma famille a disparu. Mes amis ont disparu. Mon corps même, tel que je le connaissais, a disparu. Il n'y a plus que la rivière. Elle, n'a pas changé. Cinq jours ont passé depuis ma chute et depuis cinq jours je n'ai pas aperçu un seul être humain. Tout ceci semble ancien. Terriblement ancien. J'ai trouvé une baie comestible et me nourrie d'elle depuis cinq jours. J'ai terriblement faim. Il me faut chasser. Mais je ne sais pas chasser. Non. Je n'ai pas le temps pour ça. Je dois essayer de comprendre ce qu'il m'arrive. Où suis-je? Ma voix, autrefois mélodieuse, sonne désormais rauque et usée. Je pleure. Tous les jours. Je pleure car je veux revoir ma famille. Je pleure car je veux retrouver mon village. Je pleure car j'ai perdu mon corps. Je pleure car je suis impuissante. La nuit je ne parviens pas à dormir. Les bruits m'effraient. Je ne les connais pas. Depuis que je suis ici, je n'ai pas osé regarder à nouveau mon reflet dans l'eau. Il est temps. À quatre pattes, j'avance doucement vers le bord de la rivière. Awash. Je te pensais capable de me venir en aide. Les violeurs auraient mieux fait de m'attraper. Lorsque j'aperçois le visage monstrueux se reflétant dans l'eau calme en aval, je ferme les yeux et détourne mon regard. Une larme glisse sur ma joue couverte de poils. J'inspire doucement. Puis j'ouvre mes paupières. Je les garde ouvertes un long moment. J'observe mon reflet en détails, je me touche le visage. C'est le mien. Cette chose horrible plus proche du singe que de l'humain, c'est moi. Je n'ai jamais vu une telle sorte de singe. Cependant, je me souviens des cours de science de mon professeur. Cette chose à mi-chemin entre l'Homme et le singe, c'est nous. C'était nous. La vérité me frappe de plein fouet. Je n'ai pas changé d'endroit, je n'ai pas été propulsé dans un lieu inconnu. Non. C'est à travers le temps que j'ai voyagé. Alors une deuxième larme coule. Jamais je ne reverrai ma famille.