Mon crâne roule. Encore et encore. Depuis des centaines d'années. Et je vois. Je suis morte. Je vois. À travers mes orbites vides, je vois. Même la mort n'a pas su me délivrer de cet enfer. Je vois. Lorsque mon corps sans vie, noyé, s'est mit à dériver, j'ai ouvert les yeux. Et je voyais, les tourbillons d'eau brune de la rivière. Je voyais Awash. Awash la traîtresse. Awash la fourbe. Responsable de tous mes malheurs. Elle m'a arraché à ma famille, elle m'a volé mon corps, ma vie. Tout ce que j'étais. Elle m'a même volé la mort. Mais il y a quelque chose qu'elle n'a pas put me prendre. Tinsea. C'est mon nom. Je m'appelle Tinsea. Où suis-je née? Je ne sais plus. Comment s'appelait ma petite sœur? Je ne sais plus. Ais-je vraiment été humaine? Ne serait-ce qu'un seul jour? Je ne sais plus. Mais je me souviens de mon nom. Tinsea. Tout ça à cause d'elle. Awash. Ou peut être pas. Peut être que cette rivière mouvementée n'est pas la cause de mon malheur. Peut-être suis-je née à cette époque, folle, persuadée de venir de loin, de beaucoup plus loin. Le saurais-je un jour? Sûrement pas. Inexplicable. Des centaines d'années ont passé, et le paysage n'a pas changé. Mon crâne, couché sur le flanc au bord d'un rocher, contemple ce paysage africain depuis si longtemps. Combien de temps me reste-t-il à attendre ainsi, sans pouvoir bouger, incapable de me mouvoir? Incapable même de pleurer. Je ne peux rien faire. La rivière m'a tout enlevé. Awash. Non pas tout, il me reste ça. Mon esprit. Ma capacité à penser, à être bien plus intelligente que n'importe lequel des mammifères que j'ai pu rencontrer. Ça et mon nom. Je suis le crâne le plus intelligent du monde, ce n'est pas rien. Cette pensée m'aurait fait sourire, si j'avais pu. Mais un crâne sourit toujours un peu n'est-ce pas? Alors encore une fois, mon esprit divague, encore et encore. Je ne peux pas dormir. Alors je pense, je réfléchis, j'essaie de me souvenir de ma vie d'avant. Mais rien ne me revient. Si ce n'est ce nom. Tinsea. Je m'appelle Tinsea.
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TINSEA
Short StoryLorsque l'on perd tout ce que l'on a, tout ce que l'on est. C'est alors que l'on est enfin libre.