1974. Ils ont retrouvé le crâne. Mon crâne. Du moins ce qu'il en restait après tant d'années. Ils avaient l'air si heureux, tous captivés par la découverte de ces vestiges animaux. Rien n'aurait pu les rendre plus joyeux que la découverte des restes de mon corps. Ils ont cherché, et ils ont trouvé. Ils ont rassemblé autant d'ossements qu'ils le pouvaient. Les miens. Éparpillés, enfouis sous terre par la rivière. Awash. Awash la traîtresse. Voilà que je ne te verrai plus jamais, voilà qu'ils m'enferment dans une boîte et me conduisent loin de toi. C'est une déchirure. Je t'aime et je te hais. Awash. Tu m'as tout prit, et en échange, tu m'as offert la liberté. La véritable liberté. Le pouvoir de voyager. Je ne l'avais pas demandé. Si j'avais eu le choix, aurais-je accepté? Non. Mais le choix, tu ne me l'a pas donné Awash. Alors je suis contrainte à sortir du crâne, à voyager, jusqu'à l'épuisement, avant de retrouver les chercheurs penchés au dessus des restes de mon visage sans vie depuis des milliers d'années. Je les entends parler. Ils ne savent pas. Ils ne savent pas que je comprends. Ils parlent de moi comme d'un trésor d'une valeur inégalable. Certains parlent anglais, d'autres français. D'autres encore s'expriment dans un dialecte éthiopien. Ils écoutent de la musique. Ils rassemblent mes os. Et je voyage. Encore et encore. Puis ils se chamaillent. En anglais. Ils parlent de mon nom. Mon nom est Tinsea. J'ai envie d'hurler, de leur rugir au visage: mon nom est Tinsea! Mais je suis impuissante. Libre, mais impuissante. Alors une musique est jouée, et les chercheurs tombent en accord. Ils ont choisi mon nom. Pour eux, et pour l'humanité toute entière, je m'appellerai Lucy.
VOUS LISEZ
TINSEA
Short StoryLorsque l'on perd tout ce que l'on a, tout ce que l'on est. C'est alors que l'on est enfin libre.