Chapitre 6

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Dieu merci, à Rabat, pendant l'été, les pâtisseries restent ouvertes jusqu'à très tard le soir. Je ne pouvais pas retourner chez Khalti les mains vident après ce que j'ai apprit hier. Ça m'avait beaucoup touché ce qui s'est déroulé. Elle m'avait reconnu dès le début. Elle savait que j'étais l'héritière du Royaume et n'a rien dit. Elle gardait cela en elle depuis bientôt deux semaines. Quelle femme !

En entrant chez le pâtissier, je sentis quelques regards braqués sur moi. Était-ce parce que j'étais méconnue du lieu ou ... ?

— C'est la princesse ?
— C'est Lalla Rania ? Euh non, Romaïssa ?
— Mais qu'est-ce qu'elle fait là ?

De petits chuchotements fusent de partout. J'avais la réponse à ma question. Je pris mon courage à deux mains et calmai le jeu avant qu'on ne me photographie ;

— Pensez-vous vraiment que la princesse se tiendrait, seule, dans cette pâtisserie ? À une telle heure ? Voyons, arrêtez. Je vous en prie. Je lui ressemble seulement et on me le dit souvent.

Le pâtissier se mit à rire à gorge déployée et s'exclama ;

— Excuse nous, ma soeur. J'avoue que même dans mes plus beaux rêves aucun membre de la famille royale ne mettra pied ici.
— Lalla Romaïssa ne prendrait même pas un verre d'eau de ta main, se moqua son collègue. Sa dernière manucure serait exposé au danger.
— Ils ne se mélangent pas, dit une femme en employant un ton de reproche.
—  Stupide protocole, enchaîna un vieil homme écrasé contre la vitre.

De telles paroles continuaient de se faire entendre. Certain propos étaient horribles et une chance pour eux que je ne comptais dénoncer personne. Alors, c'était cette image que mon peuple avait de ma famille et moi ? J'étais réellement révoltée par leurs réactions. Vous auriez du les voir. Toute cette haine sortait profondément de leur coeur. Sans forcer. C'était indescriptible. Je craignais surtout que ce ne soit pas les seuls à le penser. Certes, ils le disaient à voix haute et le montraient. Qu'en est-il de ceux qui le pensent silencieusement. Khalti ? Non, elle est beaucoup trop douce. Enfin, je l'espère. Et si Majid, il ...

Et si Majid pensait comme eux ? Rien que de l'imaginer me maudire, comme ces gens dans la pâtisserie, me foutait une tonne de frissons. J'avais peur d'autant plus que Khalti m'avait fait comprendre qu'il le prendrait mal. Très mal. Voilà que le minime courage qui me restait venait brusquement de disparaitre. Punaise, je déteste pourtant me dégonfler. Ça faisait quand même plus d'un mois qu'on se voyait jour pour jour lui et moi. C'était loin d'être le moment de retarder la bombe.

Debout face à ce portail qui a l'habitude de me voir m'enfuir vers le palais chaque soir, j'attendais patiemment Majid. Je vis sa silouhette s'approcher de moi au fin fond de la ruelle peu éclairée. Puis, je vis qu'il fronçait les sourcils.

— C'est quoi ça ? fit-il en pointant la boite.
— Une tarte.
— Pour qui ?
— Bah nous ! dis-je enthousiaste.
— Fallait me dire que t'avais envie d'une tarte, pourquoi tu m'as pas attendu ? On y serait allés.
— Surprise !

Il enfouit ses mains dans ses poches, en ressortit son portefeuille et le fouilla longuement. Il le referma violemment après une longue minute et contracta sa mâchoire. Nous continuâmes le chemin en silence. Visiblement, vu son expression faciale, les surprise ça ne doit pas être son truc. Contrairement à lui, Nawel m'accueillit les bras grands ouverts ou plutôt elle accueillit la tarte les bras grands ouverts ! 

— Elle est en avance Maïssa, déclara-t-elle. Tu m'sauves la vie ma soeur, j'ai pas à lui en faire une.

Je la regardai, un peu perdue, et je croisa le regard de Khalti. J'étais complètement déconnectée quelques instants. Le sourire de cette femme est tellement chaleureux. Je la remerciai du regard. J'étais très liée à elle. Je ne cesserai de le dire ; cette femme est magnifique. Je la considérai au même niveau que Dalila, ma servante.

 « Étouffée, il la fit respirer »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant