Il était une fois... une histoire

255 29 15
                                    


Paris, 13 Juillet 1789

Mon cher ami Jean-Baptiste,

Le vent est favorable à ceux qui ont de grandes voiles et qui veulent aller loin. L'aventure est capricieuse, elle est indomptable. Elle nous chevauche l'âme comme une vulgaire monture et nous éperonne si fort que d'une seule ruade on en fait le tour du monde. Et moi, j'aime l'aventure et je suis son vassal. Qu'elle me chevauche, qu'elle m'éperonne ne me dérange guère pourvu qu'elle me mène vers de beaux endroits pour de belles rencontres. Pardonne-moi pour ma divaguation si philosophique mais c'était pour te dire, mon cher ami, les jours passés dans ton pays ont été les plus beaux de ma vie de bourlingueur. Bien sur, je sais que tu te fais un sang d'encre, te demandant comment a été le voyage du retour. Je vais te rassurer là-dessus mon cher ami affranchi. Le voyage du retour a été bien, le vent a été favorable. La mer a été sage, elle a caressé la coque de notre bateau comme un amant avide de plaisir. J'ai pu constater sur le chemin du retour, les souvenirs de mon récent voyage m'a rendu nostalgique. J'ai été malheureux de rentrer à la maison, la maison qui n'est plus sûr en ces temps de grandes révolutions (eh oui, mon bon ami, on veut choper le roi et tout le régime. On veut changer les choses). Au moment où tu liras cette lettre je serai peut-être emmitouffler dans un manteau à lutter contre le froid de Paris ou derrière un bureau à lutter contre une tonne de paperasse. Je suis bien obligé car c'est une autre partie de ma vie, et je dois travailler pour subvenir à mon prochain voyage que j'effectuerai cette fois-ci dans les Indes (Çiva me tente depuis quelques temps avec ses multi-bras).

Cette lettre que je t'écris n'est pas le fruit d'une modeste courtoisie. Tu sais très bien que je ne suis pas homme à m'embarasser des formules de convennances que nous inflige la société. Je sais que tu vas certainement te dire que je resterai l'acariâtre que je suis depuis qu'on s'était croisé au musée de l'art et que je t'ai traité de "vieux macaque". Qui oserait dire qu'aujourd'hui nous serions comme des frères, ta générosité m'a ouvert les yeux et j'ai un peu délaissé de mon mauvais caractère. Cette lettre est en quelque sorte un hommage, hommage à ton île que j'ai eu la chance de connaître. La végétation si différente de la nôtre m'a accueilli les bras ouverts dans une senteur mélangée à celle du sel marin. Tout d'abord j'ai cru avoir affaire à une île de sauvageon bien que je savais très bien qu'ils ont disparu il y a de cela très longtemps et qu'ils ont été remplacé par une main d'oeuvre fournie par l'Afrique mais mon habituel mépris pour tous ce qui n'est pas français avait pris le dessus. Je sais déjà ce que tu auras en tête quand tu liras cette partie. Tu diras que j'étais encore raciste à l'époque et n'avait pas encore compris ce mot que nos philosophes ont eu à forger je ne sais sous quel emprise: "HUMANITÉ".

J'ai été heureux de découvrir ta plantation. Ce champ de coton étendue à perte de vue dont leurs couleurs blanches constrastaient avec celles des esclaves chargés de les recueillir. Il y avait aussi ce disque, plus chaud sous les tropiques, ses rayons donnaient à la terre une certaine prestance majestueuse et j'ai compris pourquoi cet espagnol l'avait appelé l'Hispaniola. J'ai pu constater que l'esclavage sur ta plantation avait une toute autre connotation. Il ne semblait pas suivre le code qu'avait régit la métropole et qui ne conférait aucun droit à l'esclave. Je ne sais pas si ce changement est dû à la couleur de ta peau qui est aussi brulée mais la joie avec laquelle travaillait tes hommes m'ont montré comment nous sommes des monstres. Nous créons des termes superflus pour dominer l'autre. On nous avions trouvé un monde et nous nous sommes acharnés à le diviser. Nous avions appris à vivre en communauté et en même temps nous avions élaborer le concept riche et pauvre. Qui pis est nous avions échafauder la condition qui le rendrait normal à nos yeux.

La simplicité est toujours beau et ta maison que tu t'acharnes à appeller "Grande Case" était le plus pur modèle. La gastronomie locale est-elle toujours aussi piquante? J'ai eu les joues en feu après avoir gouté votre fameuse sauce piquante faite avec une variété de piments macérés. Mon Dieu, ca m'avait répondu jusque dans les couilles. La prochaine fois j'éviterai d'être gourmand. Ce plat de griot* et de bananes pesées que tu m'as fait gouté, j'en rêve toutes les nuits au point de traquer tous les porcs des fermiers et me louer le service d'une noire. Votre plat de gombo est tout aussi bon, j'avais pris l'habitude de m'installer près de ta cuisine afin de humer le fumet de la cuisson de là étant l'odeur me transportait vers des sphères volupteux sur un cocon de nuage moelleux tel un bienheureux et me plongeait doucement vers un bas fond qui ouvrit les vannes de ma cavité buccale sous les tréssautements furieux de mon estomac en mal de patience. Oui, vous savez comment faire rêver sur votre île. Mon cher ami Jean-Baptiste, tu sais qu'entre nous il n'y a aucun secret. Je dois t'avouer quelque chose qui constitue le centre d'intérêt de cette lettre. Quelque chose qui m'est arrivée chez toi, à la fête que tu avais organisé en mon honneur, le jour de ma venue. Tu avais invité en ce jour-là de nombreux personnalités importantes de la localité et j'ai eu la chance de côtoyer pendant un certain temps quelques-uns de ma race. Tout a été bien, je félicite ton habileté professionnelle en ce qui a trait à l'organisation des festivités. Dans cette fête j'ai fait la rencontre d'une jeune fille affranchie. Elle était venue en retard et accompagnée d'un homme qui semblait être son mari. Je peux te dire que le couple qu'ils formaient n'étaient pas beau à voir. L'homme, un blanc à la bédaine qui débordait, avait l'air d'un goujat et d'un gourmand. Il était à peine arrivé qu'il s'en est allé directement sur la table des victuailles et s'en est servi une côtelette de porc délaissant la jeune demoiselle qui à vue d'oeil ne savait pas comment se comporter parmi cette foule de gens à l'air aristocratique.

Amours & DélicesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant