II - Soleil

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Benjamin est assis à une table, il boit du café. Jean entre, s'assoit aux côtés de Benjamin et observe le public.

JEAN – Tiens, il y a du soleil.

BENJAMIN – N'est-il pas ?

JEAN – Mettons donc en avant vos prouesses depuis la veille.

BENJAMIN – Bien sûr, mon cher. Figurez-vous que j'ai bel et bien trouvé une femme.

JEAN – A-t-elle pu entrer dans votre vie ?

BENJAMIN – Je l'ai croisé dans la rue ce matin même. Le front haut, la main droite tenant mon thermos de café, l'autre dans ma poche de pantalon, je m'en suis approché. La petite arborait un visage dans un premier temps inexpressif à mon approche mais très vite fut-il remplacé par une mine réjouie.

JEAN – Que lui avez-vous dit exactement ?

BENJAMIN – La femme en question regardait la vitrine d'une boutique du centre ville « chez Martine » , une vieille antiquaire.

JEAN – La fille ?

BENJAMIN – Non, la gérante de la boutique. Celle-ci était d'ailleurs remplie de vieilleries sans intérêt.

JEAN – La gérante ?

BENJAMIN – Non, la boutique. La fille regardait un vieux cheval en bois mis derrière la vitrine, entre un pantin désarticulé et une de ces toupies mécaniques en métal.

JEAN – Mais que lui avez-vous dit ?

BENJAMIN – La pauvre paraissait tellement émue. Bien que j'étais derrière son dos, j'entrevis son visage angélique dans le reflet que produisait la vitrine. J'en fus immédiatement chamboulé.

JEAN – Mais que lui avez-vous dit ?

BENJAMIN – Attristé, je m'approche d'elle. Le sourire de la fierté masculine maculait mon visage tandis que la pauvre enfant sortait son téléphone portable pour répondre à un appel.

JEAN – Que lui avez-vous dit, enfin ?

BENJAMIN – C'est à peine si elle me remarqua. Mes approches pourtant dosées à la perfection ne parvinrent pas à la décrocher de son fichu gadget électronique. Si bien que je dus en venir aux mains.

JEAN – Bon Dieu, ne l'avez-vous donc pas frappée ?

BENJAMIN – Grand Dieu, non !

JEAN – Dans ce cas, qu'avez-vous fait ?

BENJAMIN – Prenant à chaque secondes de son indifférence une dose astronomique de courage et de volonté, je recule de quelque mètres pour enfin avancer en sa direction.

JEAN – L'avez-vous chargée ?

BENJAMIN – Où allez-vous trouver des absurdités pareilles ?

JEAN – Mais que lui avez-vous fait ?

BENJAMIN – Faisant passer mon ingéniosité par de la négligence, je renversai mon thermos de café sur son chemisier blanc.

JEAN – Cela relève plus d'une intrusion dans sa vie qu'une invitation dans la votre, mon cher ami.

BENJAMIN – Le résultat sera le même.

JEAN – Mais je vous interromps.

BENJAMIN – Tout conteur doit prendre en compte son public. Comme je le disais, elle parut d'abord abasourdie, puis choquée, puis affolée, puis énervée, puis exigeante, puis finalement sarcastique à mon égard.

JEAN – L'orgueil féminin.

BENJAMIN – Je prétends alors être pressé. Je lui donne mon numéro de téléphone pour le pressing puis reprends ma route.

JEAN – Beau début, cher ami. Que vous a-t-elle dit ensuite ?

BENJAMIN – Ensuite ?

JEAN – Elle vous a bien rappelé, voyons.

BENJAMIN – Non, elle aura dû avoir autre chose, une quelconque occupation, un empêchement studieux ou je-ne-sais-quoi...

JEAN – Ah que vous m'amusez, mon ami ! Quel bout-en-train vous faites !

BENJAMIN – Plaît-il ?

JEAN – Ne plaisantiez-vous donc pas ?

BENJAMIN – Pourquoi cela ?

JEAN – Une femme d'apparence splendide, accroc à un simple outil de communication n'est rien de plus que le modèle standard féminin. Aucune d'entre elles ne laisserait un chemisier blanc recouvert de café sans réagir. Sans doute préférait-elle vous laisser passer son chemin. Sinon, elle vous aurait déjà rappelé.

BENJAMIN – Peut-être ne tient-elle pas à ce chemisier ?

JEAN – Dans ce cas, pourquoi vous appeler ?

BENJAMIN – Pour mieux faire connaissance ?

JEAN – Je viens de vous prouver que vous la laissez indifférente.

Un téléphone sonne. Benjamin prend le sien et décroche.

BENJAMIN – Oui, allô ? Bien sûr... Aucun souci. Quelle adresse dites-vous ? Entendu. J'arrive... Pourquoi vous ferais-je attendre ? À tout-de-suite.

Benjamin raccroche et range son téléphone.

JEAN – Qui était-ce ?

BENJAMIN – L'exemple standard féminin. Il m'attend chez lui. Au revoir, mon ami.

JEAN – Oh, et bien... Au revoir, cher ami...

Benjamin se lève et sort.

Cher AmiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant