V - Grêle

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Benjamin est assis à une table, il boit du café. Jean entre, s'assoit aux côtés de Benjamin et observe le public.


JEAN – Tiens, il grêle.

BENJAMIN – Quelle fine observation, Jean. Vous voilà fin stratège ! En êtes-vous fier ? Ou est-ce simplement le fait que vous soyez météorologue ?

JEAN – Allons mon ami, que vous prend-il ?

BENJAMIN – Ce sont de simples glaçons qui tombent en cascade sur les gens. Pas de quoi alerter les médias !

JEAN – Je ferai abstraction de cette remarque.

BENJAMIN – Comme tout le reste.

JEAN – Mais que voulez-vous dire enfin ?

BENJAMIN – Baissez-vous ! Voilà Marion !


Benjamin tire Jean sous la table.


JEAN – Mais que voulez-vous, enfin... Montrons-lui que nous sommes ici, la malheureuse !

BENJAMIN – Mais non, inconscient ! Elle risque de nous voir !

JEAN – C'est le but recherché... La pauvre est avec votre fils !


Jean tente de se relever mais Benjamin le tire.


BENJAMIN – Par pitié, Jean ! Laissez ma femme dehors ! Ne voyez-vous pas quelle me cherche ?

JEAN – Si, justement !

BENJAMIN – Tiens, elle est partie...


Ils se rassoient.


JEAN – Mon ami, vous m'inquiétez...

BENJAMIN – Je constate que vous essayez en vain de prouver votre humanité en tentant de vous intéresser à moi, mais rassurez-vous personne ici ne vous jugera ! Pas plus que moi, en tous cas !

JEAN – Allons, mon ami, calmez-vous !

BENJAMIN – Ne me criez pas dessus, Jean ! Tout ceci est de votre faute !

JEAN – Mais de quoi parlez-vous, enfin ?

BENJAMIN – Je ne supporte plus cette vie ! Chaque jours depuis la naissance de mon fils, je regrette amèrement ma défunte liberté ! Liberté que vous m'avez incité à quitter, il y a déjà cinq ans ! Cinq ans que je me retrouve enchaîné à Marion, cette ignoble femme qui prétend m'aimer pour mieux me soutirer mon argent !


Benjamin fond en larme sur la table.


JEAN – Allons, allons, mon ami... Ce n'est qu'une mauvaise passe, vous verrez ! Vous ne pensez pas ce que vous dites...

BENJAMIN – Vous souvenez-vous ? Ce fameux jour où j'eusse appris la vie de mon enfant ?

JEAN – C'était ici même. C'est d'ailleurs la première fois que nous nous retrouvons ici depuis ce fameux jours. Il y a déjà quatre ans !

BENJAMIN – Précisément, mon ami. Ce jour fut pour moi un instant magique. C'est du moins ce que je crus. Quand Marion au téléphone me déclara qu'elle nourrissait en son sein un être dont j'étais en partie l'auteur, je ne pensai à ce moment qu'à une chose.

JEAN – La quelle, si je puis me permettre ?

BENJAMIN – Les factures.

JEAN – Plaît-il ?

BENJAMIN – Vous avez parfaitement compris. Je m'apprêtais à devenir père et la seule chose qui occupa mon esprit, c'était de simples factures ! Mais comment vas-tu faire, me suis-je demandé ? Un enfant ! Ce n'est pas le moment ! C'est alors que de l'étonnement je passai au refus et à l'indignation. Jamais je n'ai voulu ce fils et voilà que je me mets à prier pour qu'il disparaisse.

JEAN – Il ne faut pas dire cela, mon cher...

BENJAMIN – Je dis ce que je veux de ma progéniture, cher ami.

JEAN – Et je vous interdis de vous plaindre d'un enfant sous prétexte que vous le voyez trop souvent.

BENJAMIN – Oh... Oui, désolé, je n'avais pas... Ça m'était sorti de la tête...

JEAN – Sachez que mon seul regret sur ce bas monde est de ne pas voir mon enfant, ma fille unique. Votre fils Teddy est à quelque kilomètres de vous, en ce moment même ! À l'heure qu'il est, il vous attend bien sagement chez vous, alors que ma petite Juju est bel et bien disparue à jamais.

BENJAMIN – Ne dites pas cela, mon ami... Elle est juste en Belgique avec Brigitte. Vous la verrez aux prochaines vacances.

JEAN – Hélas non.

BENJAMIN – Pourquoi donc ?

JEAN – Ils quittent le continent. Brigitte m'a écrit la semaine dernière, me disant qu'elle et Juju partaient vivre en Amérique.

BENJAMIN – Oh... Désolé, je ne savais pas.

JEAN – Il n'y a pas de quoi vous excuser... Ce n'est rien. Allez donc rejoindre votre famille.

BENJAMIN – Vous avez sans doute raison, mon ami.


Un bruit d'ambulance résonne.


JEAN – Quel boucan !

BENJAMIN – Qu'était-ce ?

JEAN – Regardez sous la grêle, de l'autre côté de la rue !

BENJAMIN – L'ambulance s'y est arrêté.

JEAN – Il semble qu'il y ait du grabuge.

BENJAMIN – Qui est-ce, à côté ?

JEAN – Ce visage m'est familier...

BENJAMIN – Oh mon Dieu !

JEAN – L'avez-vous reconnu ?

BENJAMIN – C'est Marion.

JEAN – Elle est debout, près des secours, dos à nous. Mais que fait-elle là-bas ? N'était-elle pas rentrée chez vous ?

BENJAMIN – Qui emportent-ils sur ce brancard ? Qui sont-ils en train de déposer dans l'ambulance ? Qui mènent-ils à l'hôpital ?

JEAN – Et pourquoi Marion part-elle avec eux ?

BENJAMIN – Où est passé Teddy ?

JEAN – L'ambulance est partie.

BENJAMIN – Je crois que je devrais en faire autant.


Benjamin se lève et sort.

Cher AmiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant