VI - Brouillard

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Benjamin est assis à une table, ivre, il boit une bière. Jean entre, s'assoit aux côtés de Benjamin et observe le public.


JEAN – Tiens, il y a du brouillard.

BENJAMIN – Bonté divine, Jean ! Vous m'avez fait peur !

JEAN – Loin de moi cette envie, mon cher ami. Mais que faites-vous ici ?

BENJAMIN – Cela ne se voit-il pas ? Je bois.

JEAN – J'entends bien, oui... Mais je me demandais plus... Pourquoi n'étiez-vous pas avec Marion ?

BENJAMIN – Et pourquoi donc, mon ami ? Hein ? La mort mérite-t-elle tant de cérémonie ? Le pleurons-nous réellement ? Pour moi, un enterrement est une cérémonie, une fête. Un anniversaire ! Vous souvenez-vous de votre vingt-huitième anniversaire ? Cela était un événement à célébrer...

JEAN – Je ne partage pas votre avis.

BENJAMIN – Il y avait pourtant tant à faire, ce jour là ! Souvenez-vous donc de la petite Marie... Hein ? Vous lui aviez tapé dans l'œil...

JEAN – Mais non ! Je vous parle d'aujourd'hui ! Aujourd'hui même où nous enterrions votre unique fils Teddy. Et ce sans vous !

BENJAMIN – Teddy, vous dites ?

JEAN – J'ai cru comprendre que vous et Marion étiez en froid.

BENJAMIN – Teddy, disiez-vous ?

JEAN – Oui, en effet, mais...

BENJAMIN – Teddy ! Quel nom charmant, hein ? Un vrai rayon de soleil !

JEAN – Je n'en doutes pas, mais je disais...

BENJAMIN – C'était le nom d'un cousin de Marion qui avait remporté le premier prix à un concours agricole en Bretagne...

JEAN – Cher a... Benjamin.

BENJAMIN – Oh non, voyons ! Quel nom trop grossier pour ce magnifique enfant ! Puisse-t-il trinquer avec moi en ce moment !

JEAN – Non, Benjamin... Vous ! C'est de vous que je parle, mon ami Benjamin Dupuis.

BENJAMIN – Et trinquons à la victoire des bleus ! Puisse leur succès perpétuer !

JEAN – Vous êtes décidément plus ivre que je ne le croyais...

BENJAMIN – Je suis ivre de bonheur, mon ami ! Jean !

JEAN – Oui ?

BENJAMIN – Le dites pas à ma copine. Elle me pardonnerait pas !

JEAN – Pourquoi le ferais-je ? Je suis votre ami !

BENJAMIN – Chic, mon ami ! Clémence est sérieusement remontée contre l'alcool...

JEAN – Clémence ?

BENJAMIN – Oups ! Hé hé hé... Si je te glisses un billet, tu promets de rien dire ?

JEAN – Benjamin... Tromperiez-vous votre femme ?

BENJAMIN – Tromper ? Moi ?

JEAN – Benjamin...

BENJAMIN – C'est juste une petite visite de temps en temps... Allez ! Trinquons à Clémence ! Puisse-t-elle me réchauffer encore longtemps !

JEAN – Benjamin, voyons ! Votre fils est mort il y a quatre jours ! Ne croyez-vous pas qu'il est temps pour vous de lui témoigner le respect dont il a manqué durant ces quatre dernières années ?

BENJAMIN – Il est surtout temps de commander une autre bouteille...


Jean se pétrifie, face publique.


JEAN – Oh Benjamin ! Cachez-vous !

BENJAMIN – Qu'y a-t-il, pauvre ami ?

JEAN – Marion ! De l'autre côté de la rue ! Elle pose des roses sur le lieu de l'accident !

BENJAMIN – Et alors ? On est en pays libre !

JEAN – Elle ne peut vous voir dans cet état, mon ami !

BENJAMIN – Oh vous avez vu pire...

JEAN – Trop tard.

BENJAMIN – Ouh ! Pas l'air commode la mégère !

JEAN – Mais arrêtez ! Ne voyez-vous pas qu'elle vous observe ?

BENJAMIN – Oh éh ! Ma petite Marion ! Viens là, ma petite gazelle des îles ! Viens donc ! J'ai tant de pognon à te filer ! Tu vas pas partir pour si peu ?

JEAN – La voilà repartie...

BENJAMIN – Si seulement j'avais mis un verrou à la porte de ma vie il y a cinq ans...

JEAN – Bon, Benjamin, c'en est trop !


Jean force Benjamin à se lever.


BENJAMIN – Que faites-vous, mon ami ?

JEAN – Je vous ramènes auprès de votre mégère.

BENJAMIN – Le petit modèle féminin standard, il me semble ! Toutes pareilles ! Des mégères ! Comme ta Brigitte ! Comme ta fille !


Benjamin continue de sortir des insultes tandis qu'il sort accompagné de Jean qui l'aide à marcher.

Cher AmiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant