Je laisse traîner mes bottillons sur les pavés de la grande place de la gare; les passants grimacent au son qu'émettent mes petites semelles en bois.
Je me sens dévisagée, une femme, sûrement la trentaine, hurlant sur la place à cause de ses deux gamins qui ne veulent pas l'écouter qu'elle traînent par la main gauche; elle se débrouille pour porter ses deux sacs de voyage avec l'autre mains tout en veillant à ce que sa coiffe en feutre ne s'envole pas.
Les vieux assis sur leur banc me regardent par dessus leur journal, où est inscrit en lettres grasses sur la première de couverture "GROSSE FAMINE À PARIS".
D'accord je l'entends, il est surprenant de croiser une jeune fille vêtue d'une salopette de dix neuf années, menant un vulgaire combat avec son bardât et jurant à tue-tête.
Mais pourtant j'aurai pensé, qu'en cette période d'après guerre, les civils seraient indulgents envers l'image que renvoient les femmes. Pour moi il n'était même pas question de me vêtir d'une belle jupe en feutrine et d'un tailleur acheté dans une boutique réputée par toutes dames.
De toute façon il ne me restais rien, je n'avais aucune envie de ressembler à ma mère.J'ai ce souvenir d'elle, sûrement un des pire. Je revois son visage se crisper, ses rides se creuser à chaque ouverture de lettre en provenance du front. Elle lisait avec attention en prenant garde de ne pas oublier de lire un seul mot, après sa lecture approfondie je demandais à chaque fois des nouvelles de mon père; et à chaque fois ou presque elle me répondait "il pense à toi, il t'aime, on lui manque".
Je dis presque car la dernière lettre ne fut pas écrite par mon père; c'était un rectangle de feuille cartonnée où figurait en lettre scriptes écrites à la machine une déclaration de décès. Cette fois si je ne demanda aucune nouvelles, je m'étais contenté de me noyer dans les yeux noisettes de ma mère pour comprendre.
Il était mort.Depuis ce jour, je su que chaque soir ma mère pleurait en relisant les lettres, accroupie aux pieds de son lit. Je l'entendais gémir de tristesse, peu à peu les pleurs devinrent des silences.
Des silences lourds et pesants, à présent ma mère ne sortait plus acheter sa baguette tout les matins où ne passait plus des heures à faire sa toilette. Elle commença rapidement à cauchemarder la nuit tout comme le jour en hurlant le nom de mon père, un cri qui me faisait frissonner.
La fièvre lui vint, un jour je fis venir le toubib du village, le lendemain elle parti.
Elle mourut, sûrement de tristesse et de ses cauchemars.Me voilà maintenant, debarassé de mon lourd passé qui pesait sur ma conscience;
Il ne me reste plus qu'à tracer ma route, mais pour cela, il faudrait encore que je parvienne à me repérer.