Jour 11

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A une personne décédée
(Je m'excuse d'avance pour la prévisibilité du destinataire, je n'avais pas d'idée)

Jeudi 1 Septembre 2016

Cher Kurt Cobain,

Il y a peu de temps, j'avais lu un livre où l'héroïne envoyait des lettres à des personnes décédées, dont tu faisais partie. Je crois bien que tu es la seule chose qui a sauvé la bouse qu'était ce bouquin, parce que le reste était EXTRÊMEMENT  oubliable. Tes lettres avaient quelque chose de différent des autres, parce que c'était les seules où on avait réellement l'impression que l'héroïne t'écrivait. C'était les seuls moments où j'avais le sentiment d'entrer dans l'intimité de l'héroïne (dont j'ai oublié le nom tant elle était peu intéressante).

Je suis loin d'être la plus grande fan de Nirvana. J'apprécie d'écouter, et je pense que si tu ne t'étais pas tué, j'aurais fini par écouter vos chansons. Même sans être la plus grande fan de grunge, je peux te le dire, tu me manques, et tu manques au monde. Sans ça, pourquoi est-ce qu'on parlerait encore de toi comme si tu étais toujours en vie, pourquoi autant de gens se serait abonnés à la chaîne youtube du groupe (je les laisse faire, mais ça me fait toujours rire de voir 2 millions de personnes abonnés à un groupe disparu *repense à my chemical romance et se tait*)

Il y a un peu plus d'un an, un énième film biographique est sorti. Il aurait pu passer inaperçu si celui-ci ne différait pas des autres par ses sources, puisque le réalisateur a eu le droit d'accéder à toute ta vie, toutes tes créations, etc. Je ne comptais pas le voir (je ne suis pas très biographie, et encore moins lorsqu'il s'agit non plus de raconter, mais de rentrer dans la vie privée) et ce qu'en a dit Courtney m'a encore plus détourné du film. Ta propre femme trouvait qu'il était trop intrusif, et elle ne supportait pas de voir autant de détails, qu'elle même n'avait pas soupçonné. Et je trouvais ça affreux que sous prétexte que tu étais une star internationale morte prématurément on puisse rentrer dans ta vie privée ainsi.

Je crois que, comme dans toutes bonnes lettres qui t'ai adressé, il faut mentionner ton suicide, alors je me lance, même si c'est toujours un sujet difficile à aborder. Je ne connais pas trop les raisons de ta mort, et je n'ai pas forcément envie de me renseigner dessus. Je ne sais plus où, par hasard (certainement dans le bouquin mentionné un peu plus haut) j'avais lu que l'une des nombreuses raisons pour lesquelles tu nous avais quitté était parce que tu avais peur d'être un mauvais exemple pour ta fille, et que tu refusais de la voir devenir comme toi. Après tout ce que tu avais traversé, la joie qu'est censée procurer le fait de construire une famille (je hais la société), tu étais toujours mal dans ta peau et tu nous voulais pas qu'on te prennes comme modèle. Tu voulais le bien des gens.

Certains considèrent que le suicide est une forme de lâcheté. Que se tuer, c'est refuser de voir les choses en face, d'accepter la défaite, la douleur, et de préférer tourner le dos aux problèmes. Je considère qu'il faut du courage pour achever son histoire. Que ce soit pour appuyer sur la détente, sauter, pousser le tabouret, plonger, avaler les pilules, ou s'ouvrir les veines. Parce que même quand on est décidé à passer à l'acte, on a toujours ce moment d'hésitation, cet instant de Et si? qui peut faire basculer la balance. Bien sûr, je trouve ça triste que tu fusses persuadé de ne pas être à la hauteur de ta condition de père, mais tu étais persuadé de ne pas être celui que le monde voudrait. C'est certes affreux, mais cela montre que tu avais une certaine lucidité vis à vis de qui tu étais, et que, lorsque tu avais des projets, tu n'y changeais rien.

Je ne sais pas ce que cela fait de vivre sans père. Je ne sait pas comment ce fut pour Frances. Mais elle a l'air d'aller bien, comme si elle comprenait ton choix. Je le comprends aussi, bien que tu me manques un peu. Le suicide est toujours dénigré par la société, comme si il fallait absolument vivre sa vie jusqu'à 80 balais, coincé en chaise roulante pour pouvoir crever normalement. Oui, tu es mort jeune, mais des millions d'autres personnes le sont aussi. Mais toi au moins, tu as décidé de ne pas faire place au hasard et de quitter le monde avec des raisons valables.

Et en ça, tu es courageux, et tu es un modèle, même sous terre.

Elodie


Les Lettres Abandonnées ~ AchevéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant