Jour 3

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A mes parents

Le Mercredi 24 Août 2016

Papa, Maman,

Je crois que c'est une manie de commencer par le masculin dans ce recueil. L'avantage, aussi,, c'est que je sais que vous ne lirez jamais cette lettre, donc je vais pouvoir vous dire tout ce que j'ai eu envie de vous dire depuis hier soir, bien que je sache que je n'y arriverais jamais en vrai. Je n'oserais pas.

Peut-être faudrait-il que je commence par expliquer pourquoi j'ai eu envie de vous dire tout ça hier soir? Ce serait un bon départ. Et puis ça expliquerait bien mon principal problème avec vous. Vous êtes complètement paranos.

L'an dernier, au mois d'avril, je vous avais demandé si je pouvais aller au concert d'Imagine Dragons en novembre, et votre "peut-être, on verra" sonnait tout sauf ce que vous aviez dit. Je ne vous ai même pas demandé pour le concert de Twenty One Pilots de février, mais maintenant, je me rends bien compte que j'aurais dû. Sans vouloir vexer Panic!, je donnerais n'importe quoi pour les voir. Mais lorsque Twenty One Pilots a annoncé qu'ils passaient au Zenith, il n'y a même pas eu de "peut-être", de "on verra". Il n'y a qu'un "non" sec, violent. Je me suis dit que je m'en remettrais. A cette époque là, je ne les aimais pas autant qu'aujourd'hui, et je peux vous le dire, vu comment je les aimais à cette époque, vous ne sauriez imaginer maintenant. 

Je suppose que vous ne comprenez pas ce que font tous ces groupes ici. Attendez un peu, l'explication arrive, vous êtes toujours pressés et vous ne cherchez pas à nous comprendre.

Que savez-vous réellement à propos de votre fille? De ce qu'elle fait? D'où elle va? D'avec qui elle est? De quand est-ce qu'elle vous ment? De ce qu'elle ressent? Du pourquoi elle est comme ça? De pourquoi tous ces groupes comptent autant pour elle? 

Vous ne savez rien, et ça me désole aussi de l'avouer. Vous ne cherchez pas à comprendre, à savoir, et je reste à attendre que vous le fassiez. Comment suis-je censée vous avouer que j'ai voulu me tuer en 5ème, et que personne n'était là pour moi, à part une p*tain de radio? Oui, la musique m'a sauvé, des groupes dont je connaissais même pas le nom, dont je ne savais rien du tout. Je ne comprenais même pas ce qu'ils disaient, bon sang! Et pourtant, eux, ils étaient là. Pas vous. 

Ce n'est pas pour rien que votre fille passe sa vie avec un casque sur les oreilles, à chanter depuis qu'elle sait parler. Ce n'est pas pour rien qu'elle aime se promener à Paris, la musique à fond dans ses écouteurs, toute seule. Et ça, je suis certaine que vous n'arrivez pas à le concevoir. Pour vous, c'est juste une passion, pour moi c'est une troisième famille, celle que je saurais toujours présente à mes côtés. J'ai eu de nombreux problèmes niveau amitié, et je sais que ça va, ça vient, bien que j'essaie toujours de faire en sortes que ça reste. Du côté familial...vous le voyez par vous même, je suppose, que je m'éloigne. Et vous ne faites rien pour arranger cela.

Mais eux, tous ces groupes dont je vous assomment à longueur de temps sans que vous n'y compreniez rien, eux, ils sont là. Depuis que je suis gamine pour certains, pour d'autres depuis leur début. Ce n'est pas pour rien que lorsque mon téléphone est tombé à l'eau, la seule chose qui m'énervais était d'avoir perdu ma carte sdEt quand je vous ai sorti ça, ta seule réfection, papa, c'était le prix. Les sentiments ça te dit quelque chose? (D'autant plus que j'avais enfin trouvé deux superbes fonds d'écrans de mes deux "crushes")

Toute cette histoire aurait pu s'arrêter là. J'aurais fait une croix sur le nombre incalculable de concert auxquels vous m'avez empêché d'aller, et ceux où je n'ai même pas essayé de demander parce que vous auriez toujours répondu la même chose. Sauf que je n'arrive pas à m'empêcher de repenser au fait qu'eux soit une famille qui ne m'abandonnera pas. Ils ne me voient jamais, ils ne me parlent jamais, ils ne connaissent pas mon existence, mais eux me comprennent, eux me soutiennent. Je pensais être la seule à penser que c'était possible de réellement croire que toutes ces fandoms, tous ces enfants pouvaient former une véritable famille, des enfants qui trouveraient toujours chez qui se rassurer. Et puis il y a eu le speech de Tyler Joseph du Madison Square. Et il l'a dit. Nous ne sommes pas "eux", la foule. Nous sommes "nous", un ensemble, une famille, un groupe, une même voix, un même cri, une clique. Et je sais que ce sera éternel. Comment je peux le savoir? Une famille créé dans la souffrance est indestructible.

Je vous déteste pour refuser que j'y aille, comme à tous les autres concerts. Ce n'est pas comme si nous avions des problèmes d'argent. La seule chose qui vous gêne réellement, c'est que les salles sont bien trop grandes. Et alors? Je n'ai plus onze ans, je sais me défendre en cas de problème. Et il faudra vous mettre en tête que oui, un jour votre fille quittera la maison et fera ce qu'elle souhaite sans que vous en soyez maître. Quelle autre raison pouvez-vous trouver pour m'empêcher d'y aller...Ah oui, les cours. La bonne blague. A quoi servent les cours? Parfois, j'ai tendance à me dire rien. J'ai pas envie d'être casé comme les millions d'enfants qui font des études et qui font un boulot toute leur vie, comme si notre existence se résumait à : naître, grandir, bosser, fonder une famille, crever. On rêve tous d'une vie différente, d'une vie libre, où on pourrait réussir à sortir de la routine. Et quand je vous vois rentrer le soir, dire que votre boulot est chiant et plus comme avant, croyez-vous que ça me donne envie de rentrer dans les petites boîtes que nous préparent société? 

Longtemps, je m'étais dit qu'il fallait que je me fasse accepter par les autres, pour ne plus être exclue de la société. Quelle ironie. Désormais, la seule chose que je veux faire, c'est sortir des sentiers battus et rebattus pour tracer le mien. Sauf que vous me forcez la main pour que je fasse comme tout le monde. "Mais il n'y a pas de débouché en L, Elodie". Le débouché, tu le crées, peu importe. J'en aurais été capable. Mais non, je suis en S, maintenant. Et si aucun des deux ne me plaisaient plus que ça, j'aurais préféré aller en L juste pour prouver que je savais faire quelque chose de mes dix doigts. Mais non, il faut que je suives la voie plus raisonnable. Je ne suis pas raisonnable, je ne l'ai jamais été. 

J'aimerais que vous soyez fiers de moi, de votre fille aînée. Que vous puissiez dire que j'ai réussi ma vie et que je suis heureuse. Le problème, c'est que je veux aussi faire ma propre vie, ailleurs, loin de vous. Je sais, avoir des rêves, c'est bien, mais les garder en rêve c'est mieux, d'où leur nom. Mais il y a des choses que vous ne pouvez empêcher. Vous ne pourrez pas m'empêcher de continuer de chanter jusqu'à m'en exploser les poumons. Vous ne pourrez pas m'empêcher d'aller à la fête de l'humanité bien que je sache que vous détesteriez cette idée. Vous ne pourrez pas m'empêcher de continuer d'écrire. Vous ne pouvez pas m'empêcher de croire et de rêver, et, le problème, c'est que j'ai bien trop d'imagination pour un si petit corps, et que je suis bien trop sensible. Et personne n'est jamais là pour comprendre le flot de sentiments qui se déverse parfois en moi. Sauf eux. Mais vous ne comprenez pas.

Et j'ai besoin que quelqu'un comprenne. J'ai besoin que vous compreniez. Vous avez accepté la responsabilité de deux enfants, et, pas de chances, vous êtes tombés sur l'enfant suicidaire, bien trop pensive, artiste, rebelle. Alors aidez-moi à me raccrocher à terre, sinon je m'envolerais à jamais.

Elodie

Ps : ne vous méprenez pas, je vous aime. Je vous aime énormément, mais parfois, j'ai l'impression que vous ne me voyez pas telle que je suis, mais telle que je vous aimeriez que je sois. Je reste humaine avant d'être votre enfant, et vous ne pouvez pas me façonner à votre manière, comme de l'argile.

Les Lettres Abandonnées ~ AchevéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant